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affiche The Cut

The Cut

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Un film de Fatih Akın ,
Avec Tahar Rahim, Simon Abkarian, Makram Khoury,

Genre : Historique
Durée : 2h18
Allemagne

En Bref

Le génocide arménien est similaire au personnage de Nazareth. Longtemps muet, devenu tabou, sa reconnaissance a mis beaucoup de temps à avoir lieu. Aujourd’hui reconnu législativement en France, ce qui valut bien des polémiques, Fatih Akin donne la voix à cette période de l’histoire sous une forme filmique caractéristique : l’épopée.

            Après des œuvres telles que Soul Kitchen, ou le très beau De l’autre côté, confiné à l’intimisme, c’est un pari d’un autre genre que se lance le réalisateur allemand. Une période trouble de l’histoire abordée à travers un personnage arménien et une quête précise : retrouver ses filles, disparues pendant le massacre. En effet l’intrigue débute en 1915 à Mardin, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, sur des terres où les minorités s’affrontent. Les Arméniens vont être rejetés par les Turcs et vont subir ce qui sera appelé le génocide arménien. Un décret du sultan va alors obliger les hommes de plus de 15 ans à partir en guerre, prétexte à se servir de cette population pour divers travaux forcés et à subir des maltraitances aboutissant à ces crimes atroces.


            Une œuvre pourrait-elle potentiellement remettre en cause le talent d’un bon réalisateur ?   Logiquement non, mais l’attente est plus forte, selon le réalisateur ou le sujet. Fatih Akin prend un véritable risque et dans un projet de cette ampleur, un sujet si important et sensible, le résultat final est simplement digne d’une mauvaise épopée hollywoodienne d’antan avec un manque véritable de cohérence à plusieurs niveaux.

            Le scénario est l’illustration même de cette déception. Le personnage de Nazareth, au nom déjà évocateur, en deux heures de film, se retrouve confronté à tous les éléments tragiques de l’épopée connus sur le support cinématographique. Il est d’abord mis à terre, emporté de force dans un camp, puis échappe à la mort de peu, sauvé par la solidarité d’un rebelle… Et ça n’est que le début. Les images semblent être la restauration d’une copie d’un vieux film, sentant encore le Code Hays. L’intention est bonne, mais pourquoi ne pas alors se pencher plus sur le côté historique ? Pas d’explications, seulement des conclusions. Tout ici est concentré sur le personnage principal, à la figure d’un héros dont le sort semble s’acharner sur lui et dont le réalisateur souhaite à tout prix montrer qu’il s’acharne contre lui. Cela en devient pesant, même s’il vise à montrer le destin tragique de ces « rejetés » de la société qui, de la Turquie aux Etats-Unis, ne sont finalement jamais chez eux. Son calvaire paraît interminable et perd de sa vraisemblance à mesure que l’usage de procédés donne de la lourdeur au film.

            Il y a un retour à ces valeurs qu’on voudrait universelles, comme une sorte de moralité. La notion de solidarité, par exemple, a une place importante, comme ce fut le cas pendant la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale. L’entraide entre ces personnes, ou comment lutter contre un pouvoir en place et majoritairement soutenu, est décrite ici. Il n’y a malheureusement pas de problématique ou de dilemme dans ce film où tout n’est qu’illustration.

            Mêler l’histoire pour clore la trilogie sur l’immigration ne s’avère dès lors pas une bonne idée. A vouloir trop de compassion, on finit par ne plus rien ressortir, dans une œuvre où peu de choses se distinguent. Ce que l’on peut nommer « l’image illustrative » est trop présent à travers des scènes se répondant. Ce sont des images, des scènes où le besoin est constant d’appuyer la chose, pourtant comprise de prime abord. D’une scène où la femme de Nazareth lui chante une douce chanson typique pour qu’il dorme, moment paisible avant la guerre, viennent se poser deux scènes où des inconnus chantent cette même chanson. Le manque dû à son absence était pourtant clairement visible auparavant mais la nostalgie semble soudainement se révéler. C’est le même cas pour la double scène de viol. De par son expérience, après avoir dû regarder, sous la menace d’un fusil, une femme se faire violer par des opposants, Nazareth a forcément été marqué et a retenu la leçon. Et quand l’arme n’est plus là, il va prendre son courage à deux mains et stopper ses agresseurs.

            Pour donner à ce long périple de l’attention et des sentiments, Fatih Akin ne mise pas sur la narration, vacillante, ou sur le jeu d’acteurs, pas toujours juste, mais sur des scènes ou des images choquantes justement, comme ces viols. C’est le cas également des horreurs perpétrées contre les Arméniens, égorgés comme des moutons. Les montrer à l’écran est une chose qui aujourd’hui ne pose plus véritablement de problème et les cacher pourrait être un argument de reproche. Mais dans ce film, elles apparaissent comme des prétextes à renforcer son propos et attirer l’empathie.

            L’ambiance fait clairement défaut et pose problème. Tombant dans la niaiserie ou la légèreté lors de moments où cela n’a pas lieu d’être, le spectateur n’est qu’un simple spectateur, pas du tout impliqué. C’est d’ailleurs l’impression que laisse Tahar Rahim, pas dans le personnage, ne sachant pas pourquoi il est parachuté ici. Il est malheureusement embarqué dans ce projet bancal et n’échappe pas à la critique, ne trouvant pas le charisme de son rôle mythique d’un Prophète. La bande son est peut-être dérangeante, comme ce passage électro au milieu du désert. La musique n’est pas forcément en cohérence avec le décor, dans un certain parti pris. Il y a en revanche une logique dans l’environnement avec ces grandes plaines, où errent des fantômes, puis la traversée maritime en quête d’un retour à la stabilité, une véritable odyssée.

            Une scène, où le silence d’un homme ou d’un génocide a pour écho le cinéma. C’est à la beauté de cet art, qu’un hommage est rendu, le cinéma muet, de Chaplin, comme arme dans la douleur. Il peut être un moyen de lutte, ou de servir l’histoire, la dimension morale d’un cinéma, faisant rire, égayant une population en souffrance, apparaît. Tout le choix du réalisateur est là. Les images de Chaplin au milieu de ce chaos touchent en plein cœur les amoureux du cinéma. Akin voit le côté épopée comme un grand spectacle et se sent dans un moment qui aurait pu être intimiste, qui aurait pu créer une relation privilégiée avec son spectateur. Il se voit au contraire obligé de rajouter une larme sur la joue de l’acteur français. C’est une façon d’aborder la chose, mais espérons un retour à plus de modestie cinématographique pour ce réalisateur s’égarant dans le désert de l’ambition.

             Clément SIMON

Note du support : n/a
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Titre : The Cut

    Réalisation : Fatih Akın

    Scénario : Fatih Akın et Mardik Martin

    Photographie : Rainer Klausmann

    Montage : Andrew Bird

    Musique : Alexander Hacke

    Production : Fatih Akin, Karl Baumgartner, Reinhard Brundig et Fabienne Vonier

    Société de production : Bombero International, Corazón International, International Traders, Jordan Films, Pandora Filmproduktion

    Pays d'origine : Allemagne, France, Pologne, Turquie, Canada, Italie

    Genre : Drame historique

    Langue : anglais, arabe, turc, kurde, espagnol

    Durée : 138 minutes

Distribution

    Tahar Rahim : Nazareth Manoogian

    Simon Abkarian : l'acteur

    Arsinée Khanjian

    Akin Gazi

    George Georgiou : Vahan

    Numan Acar : Manuel

    Makram Khoury : Omar Nasreddin

    Anna Savva : Mrs Krikorian

    Lara Heller : Lucine

    Joel Jackshaw : Tom