Coup de chaud

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Un film de Raphaël Jacoulot ,
Avec Jean-Pierre Darroussin, Grégory Gadebois, Karim Leklou,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h42
France

En Bref

Coup de chaud s’ouvre sur une forme titubant sous la pluie, elle tente de rejoindre un dernier havre où s’assoupir. C’est cette pluie tant attendue, libératrice des tensions accumulées, des promesses de survie, annonçant le renouveau après le chaos. Tout commence dans un petit village paisible. Éclate la forte chaleur échauffant les esprits, concentrant les rancœurs et désespoirs jusqu’à l’acte ultime. Les champs crèvent sous le soleil battant, les cultures s’étiolent, se meurent, le vert laisse la place au jaunâtre des cadavres. Le vol d’une pompe d’eau bienfaitrice, pour apporter un peu de soulagement, catalyse le malheur des paysans. Un nouvel habitant, menuisier, tente de monter sa petite entreprise avec difficulté.

Il affronte les tensions au sein de son couple et de son entreprise comme le temps à l’extérieur, et grimpe au thermomètre de la désolation à deux. Les jeunes du village découvrent de nouvelles sensations sous les jupes des filles qui s’envolent. Le sang s’échauffe, s’élève dans les cœurs, l’amour et le sexe s’affolent. Les non-dits, les fautes dissimulées, la chaleur créent un climat qui peu à peu devient une bombe prête à exploser. Il suffit d’une étincelle pour que le feu embrase ce petit monde. Une jeune fille agressée dans son intimité achève la tragédie annoncée. Le maire vétérinaire et humaniste tente de canaliser les fleuves de lave, d’apaiser les tensions, de ramener le bonheur perdu. Josef Bousou, dans ce climat tendu, continue d’aller où bon lui semble, sans lien ni conscience sociale, débile léger.

Il vit au rythme de ses émotions et pulsions. Habituellement il fait office d’idiot du village, naïf et pas bien méchant. Avec la chaleur lui aussi s’emballe, dépasse les limites. Les esprits trouvent une cible à cette maudite chaleur, cette maudite vie ne tournant plus rond et apportant la misère dans son giron.

Raphaël Jacoulot, dans une mise en scène proche du documentaire, s’insinue au cœur de ce village pour en révéler les secrets cachés, les tensions, les rancoeurs, la difficulté de vivre. C’est la société française d’aujourd’hui. Il ouvre sur le chaos qu’annonçaient toute cette chaleur et les cœurs échauffés. C’est la pluie balayant les rues et épousant les cultures pour leur donner un souffle de renaissance. Puis nous entrons dans le cœur du village avec la venue au monde d’un petit veau. Là encore, la difficulté de la naissance résume la suite du récit. Le cœur du film devient un examen à plusieurs facettes de la société française. C’est d’abord le monde des paysans entre les petites exploitations qui peinent à survivre et que la forte chaleur conduit aux portes de l’Hadés.

Diane tente de surnager entre le manque d’eau et une grosse exploitation qui lorgne sur ses terres. Dans ce climat l’insouciance, le naturel de Bousou attisent la braise. La question du petit village perdu que le citadin voit comme un lieu de bonheur dévoile ici son autre face. Raphaël Jacoulot nous dévoile un décor moins poétique, le manque de tout, de moyens pour arroser, de magasins, l’isolement, la peine à la tâche. Il aborde aussi la difficulté du couple et d’une petite entreprise avec Rodolphe qui n’arrive pas à prendre un nouveau départ. Il montre comment nos actions influent sur le quotidien et appellent des réactions que nous ne contrôlons plus. Alors qu’habituellement tout se résorbe, comme dans l’étude de Margarita, Mémoires Grecques, l’idiot du village est une nécessité pour évacuer les tensions.

Il polarise sur lui les excès dans un jeu de moqueries et de pitié, peut être le prolongement du fou du roi. C’est la figure du bouc émissaire que nous retrouvons dans la filmographie du réalisateur. Il est celui qui canalise la haine et le désir de mort. Bousou jusqu'à maintenant était accepté comme idiot du village mais avec cette chaleur il passe au statut de bouc émissaire. C’est peut-être son insouciance, sa liberté extrême - il s’insinue dans les moindres recoins – qui focalisent sur sa personne la colère que la température empêche d’évacuer. Il devient malgré lui le catalyseur de toutes ces déceptions qui grossissent jusqu'à éclater. Dans cet espace social qui se dégrade, celui sentimental suit le même chemin avec des conséquences encore plus pernicieuses. Pour les jeunes du village comme pour Bousou, c’est la découverte du secret des filles, des élans du corps réclamant plus qu’un baiser.

C’est l’étincelle allumant le feu et embrasant la communauté dans cette tempête. Il ne reste qu’une porte de sortie, la mort. Ils ignorent que celle-ci n’apporte pas la paix, le village ne pourra plus jamais connaître ce bonheur en équilibre d’autrefois. Il est impossible de revenir en arrière. Ils ont appelé ce geste de toute leur âme, incarné dans la main d’un seul. C’est pourtant l’acte de tous, on ne lève pas une malédiction si facilement. Raphaël Jacoulot s’inspire d’un fait divers étalé sur plusieurs années. Il réussit son pari en le concentrant sur une saison, et balayant toute la vie d’une communauté. C’est donc plus un film sur la société d’aujourd’hui, presque une métaphore du climat actuel, qu’un simple polar. D'ailleurs, l’actualité semble lui donner raison.

Patrick Van Langhenhoven