L’histoire commence dans un petit cirque de province avec ses numéros choc, ses clowns, sa chèvre dressée et son cannibale de service. C’est ici qu’échoue un clown blanc célèbre en bout de piste, à bout de souffle, George, plus connu sous le nom de Foottit. Il propose à Rafael Padilla d’abandonner la peau du roi nègre Kananga, caricature de l’indigène venu des colonies pour s’élever et devenir un Auguste. Les premiers pas sont hésitants, le duo se cherche. Après quelques coups de pied au cul, le rire envahit les gradins. Ils trouvent leur style, brisant toutes les conventions du genre. C'est le premier clown noir et aussi le premier duo de l'Auguste et du clown blanc.
A cette époque sur la piste c'était l'un ou l'autre. C’est ainsi que nait dans la province profonde, dans un petit cirque de rien, une grande révolution de l’art clownesque. Très vite, leur duo enflamme la province et Paris les attend. C’est la folie, leur duo enflamme la capitale et bientôt les voilà propulsés tout en haut de l’affiche. Ils débordent le cadre de la piste et se retrouvent affichés sur tous les supports jusqu’au moment où Chocolat réclame plus de respect. C’est le début de la dégringolade et de l’explosion des deux compères. Quand on vient de tout en bas, on ne tombe jamais de bien haut. Chocolat claque tout son fric, joueur invétéré, il finit dans le caniveau et la drogue.
Dans ce monde de blancs, tant qu’il ne débordait pas du cadre et reste le type qui prend des coups de pied au cul, on ne lui disait rien. C’est à partir du moment où il revendique une place d’artiste à part entière, se frottant à jouer Othello au théâtre que la bonne société le rejette. Premier noir à jouer le prince maudit de Shakespeare, il sera hué sur scène. On lui reproche sa liaison avec une femme blanche. Il finit par s’éteindre dans l’anonymat d’un petit cirque de province, là où tout avait commencé.
Pour son quatrième film, Roschdy Zem s’inspire de l’ouvrage de l’historien Gérard Noiriel pour, une fois de plus, aborder le racisme et la discrimination au sein de notre société. Après Mauvaise foi, Omar m’a tuer, Bodybuilder, dans une mise en scène sobre mais inspirée, il soulève une nouvelle injustice. Rafael Padilla nait dans une famille d’esclaves à Cuba. Vendu à huit ans, il s’enfuit et vit de petits métiers qu’il décroche de-ci de-là. C’est la rencontre avec le célèbre clown blanc George Foottit qui change tout. Il révèle son potentiel caché et le prend à son service. Ils connaissent rapidement un succès colossal dans leurs duos comiques.
Ils font hurler les foules, hilares devant ce duo improbable du clown blanc pince-sans-rire et de l’Auguste noir souffre-douleur. Ils révolutionneront l’art clownesque et la pantomime, influençant d’autres artistes à venir comme Chaplin. George remarque la capacité élastique de Rafael et en joue dans le spectacle. Ce dernier sera le premier acteur noir à endosser le rôle d’Othello. Les artistes, déjà en avance sur la société de leur temps, l’acceptent comme l’un des leurs. Il en est tout autrement de la bonne société, elle le hue au théâtre et l’applaudit au cirque. Il reste encore bien du chemin à faire en ce début de 20e siècle pour que les mentalités changent. Le réalisateur s’attache à ses personnages et reconstitue l’époque sans tomber dans le misérabilisme.
Au contraire, c’est avec justesse qu’il dévoile le personnage avec son talent fou, mais aussi ses travers, le succès transformant notre homme en gravure de mode et joueur invétéré. Il suffit deux ou trois séquences pour nous faire comprendre combien cette époque était encore engluée dans des idées réactionnaires. C’est un zoo humain, une affiche, la femme blanche insultée, en évitant de forcer le trait il dévoile toute l’imbécillité de ce monde.
Chocolat découvre le zoo humain et la condition de ses frères dans une société où l’esclavage est aboli. C’est aussi la thérapie par le rire à l’hôpital où Rafael rencontre sa bien-aimée. Derrière le rire se cache un film juste qui rétablit enfin la vérité sur un grand duo clownesque et un homme qui révolutionna en son temps le monde du spectacle. Le duo est admirablement interprété par Omar Sy, brillant dans le personnage où entre rire et larmes il dévoile un jeu plus complexe que le pitre des comédies. James Thiérrée, petit-fils de Chaplin à l’étrange ressemblance, acteur et artiste de cirque, règle tous les numéros du film. Nous voyons combien nous avons progressé. Mais aussi, combien il reste à faire pour briser le mur de l'ignorance et faire en sorte que l’on reconnaisse chacun à sa juste valeur et non plus à sa couleur !
Patrick Van Langhenhoven
Bonus DVD
- Making of
- Numéros complets de James Thierrée et Omar Sy
- Bande-Annonce
Titre original : Chocolat
Réalisation : Roschdy Zem
Scénario : Cyril Gély, d'après une adaptation d'Olivier Gorce et de Roschdy Zem et basé sur le livre Chocolat, clown nègre : l'histoire oubliée du premier artiste noir de la scène française de Gérard Noiriel (2012, Bayard)
Décors : Jérémie D. Lignol
Costumes : Pascaline Chavanne
Photographie : Thomas Letellier
Son : Vincent Guillon, Dimitri Haulet, Brigitte Taillandier et Stéphane Thiébaut
Montage : Monica Coleman
Musique : Gabriel Yared
Production : Nicolas et Eric Altmayer
Sociétés de production : Mandarin Cinéma ; Gaumont et M6 Films (coproductions)
Société de distribution : Gaumont Distribution
Format : couleur
Pays d'origine : France
Langue originale : français
Genre : biographie
Durée : 110 minutes
Dates de sortie :3 février 2016
Distribution
Omar Sy : Rafael Padilla/le Clown Chocolat
James Thierrée : Tudor Hall/Footit
Clotilde Hesme : Marie
Alice de Lencquesaing : Camille
Noémie Lvovsky : Madame Delvaux
Frédéric Pierrot : Delvaux
Olivier Gourmet : Oller
Olivier Rabourdin : Gemier
Héléna Soubeyrand : Regina Badet
Denis Podalydès et Bruno Podalydès : les Frères Lumière
Xavier Beauvois : Félix Pottin
Thibault de Montalembert : Jules Moy