La forêt s’étend à perte de vue. Le jeune homme chasse la bête comme aux premiers jours, se fondant dans la nature. Il aura le foie pour part de son courage, marquant la mort de l’enfant et la naissance de l’homme. C’est ici, au cœur d’un paradis se transformant parfois en enfer quand la tempête se lève, que Ben et ses enfants bâtissent une nouvelle utopie entre Nietzche et Thoreau. Les garçons et les filles dans un monde égalitaire trouvent le sens de leur vie. Entre une course au sein de la forêt, un exercice de survie, une chasse, une pêche et le soir venu quelques réflexions philosophiques, scientifiques dans une auto-éducation.
Pas de banc d’école où s’asseoir, mais un livre à analyser et à présenter aux autres. Cette utopie est marquée par l’absence de la mère, hospitalisée comme maniacodépressive. Ce rêve de communauté hippie est bousculé par une terrible nouvelle, la mort de la mère. On ne peut fuir indéfiniment le monde, il est temps de retourner en son sein pour respecter les dernières volontés de la morte. Ben, en conflit avec son beau-père, n’ignore pas que les retrouvailles ne se feront pas sous un arc-en-ciel de joie. Commence une route conduisant des forêts au désert où habite la belle famille. C’est l’occasion pour les enfants de se confronter au monde moderne et toutes ses folies. En ressortiront-ils indemnes ou le cœur plein de révolte pour ce qu’ils ont loupé ? Il est certain que le passage au sein de notre société moderne et la confrontation avec le grand-père ne se fera pas sans risque.
Un peu comme la maladie de la mère oscillant entre bonheur et colère, joie et dépression, le film semble opposer deux visions du monde. Dans sa première partie, nous pensons aux idées de Nietzsche et son surhomme, de Jean-Jacques Rousseau et surtout pour les Américains, de Thoreau. Elles donneront naissance aux utopies hippies du retour à la nature. Comment l’homme s’est perdu au sein de notre société moderne oubliant le sens de ses racines. Le père et ses enfants trouvent un juste équilibre entre cette vision communautaire, chasse, pêche, culture auto-suffisante, vêtements, etc. Thoreau fustige le pouvoir de la consommation qui commence à envahir la société américaine. Il parle d’une nouvelle forme d’éducation et de la place de l’homme au sein de la nature.
Très en vogue aux Etats-Unis, ses idées font écho à celles de Jean-Jacques Rousseau chez nous. Le père n’oublie pas de donner une éducation plus philosophique et culturelle à ses enfants. Chacun trouve dans les livres les connaissances qu’il approfondit et confronte le soir à la veillée avec les autres. Loin du perroquet qui répète sa leçon, c’est une éducation poussant à la réflexion et la compréhension par soi-même. L’utopie semble fonctionner sans anicroche sauf que certains, en sortant de la forêt comme Zarathoustra descendant de sa montagne, s’interrogent sur notre société. Ils lui trouvent des aspects bénéfiques, tout n’est pas à rejeter dans celle-ci. C’est donc le choc de ces deux utopies, celle du retour à la nature et de notre société de consommation qui s’entrechoquent et finissent par trouver leur juste équilibre. Le film est aussi parcouru par un fort courant bouddhiste, d’où la dernière volonté de la mère. Là aussi, nous retrouvons cette idée de se fondre dans le monde pour atteindre l’éveil.
Matt Ross confronte les deux idées en privilégiant sans doute celles de Thoreau sans toutefois rejeter notre société moderne. En cela, la fin est un bon compromis que je ne vous dévoilerai pas. Il n’est pas si facile de vivre en autarcie, replié sur soi-même sans compter sur certains aspects de notre société. Par sa vision, il pose une troisième voie, celle de l’harmonie rejoignant la philosophie bouddhiste. Le film n’évacue rien et ne cherche pas de compromis dans un sens ou un autre. Le beau-père n’est pas une figure de salaud, même si au départ on privilégie la vision de Ben. Le réalisateur finit par nous faire entendre sa voix, loin d’être réactionnaire comme nous pouvions le penser. Captain Fantastic nous interroge sur notre place au sein du monde et sur la société que nous rêvons pour demain. Souvent réduite par les réactionnaires à la grande partouze universelle, elle s’avère beaucoup plus complexe. Le film nous interpelle sur la présence de la philosophie bouddhiste que l’on retrouve de plus en plus au sein du cinéma américain. Viggo Mortensen compose un personnage sans aucun doute en adéquation avec ses idées personnelles. Les enfants représentent cette génération de demain qui aura à choisir quelle place elle souhaite occuper au sein du monde et comment. La réponse est assez intelligente et colle parfaitement avec notre vision du monde.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Captain Fantastic
Réalisation et scénario : Matt Ross
Direction artistique : Erick Donaldson
Décors : Tania Kupczak et Susan Magestro
Costumes : Courtney Hoffman
Photographie : Stéphane Fontaine
Montage : Joseph Krings
Production : Jamie Patricof (en), Lynette Howell, Monica Levinson et Shivani Rawat (producteurs), Declan Baldwin et Nimitt Mankad (producteur délégué), Samantha Housman, Crystal Powell et Louise Runge (coproducteurs), Louise Runge (productrice exécutive)
Sociétés de production : Electric City Entertainment et ShivHans Pictures
Sociétés de distribution : Bleecker Street (en) (États-Unis), Mars Distribution (France)
Budget de production :
Pays d'origine : États-Unis
Langue originale : anglais
Genre : drame
Dates de sortie : 12 octobre 2016
Distribution
Viggo Mortensen : Ben
George MacKay : Bodevan
Samantha Isler (en) : Kielyr
Annalise Basso (en) : Vespyr
Nicholas Hamilton : Rellian
Shree Crooks : Zaja
Charlie Shotwell : Nai
Trin Miller : Leslie, la femme de Ben
Kathryn Hahn : Harper, la sœur de Ben
Steve Zahn : Dave, le mari d'Harper
Elijah Stevenson : Justin, fils de Harper et Dave
Teddy Van Ee : Jackson, fils de Harper et Dave
Erin Moriarty (en) : Claire, la jeune fille du camping
Missi Pyle : Ellen, la mère de Claire
Frank Langella : Jack, le père de Leslie
Ann Dowd : Abigail, la mère de Leslie