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affiche Calvary

Calvary

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Un film de John Michael McDonagh,
Avec Brendan Gleeson, Chris O'Dowd, Kelly Reilly,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h45
Irlande

En Bref

« J’ai gouté au sperme quand j’avais 7 ans ». Cette phrase assomme le spectateur dès l’ouverture, prononcée dans un confessionnal par un homme, un paroissien que le père James reconnaît très vite. Profondément blessé, l’homme va alors mettre en garde le confesseur. Il va le tuer dimanche prochain. Le compte à rebours de Calvary est en marche… Alors qu’il s’efforce de continuer à soutenir sa fille fragilisée qui est venue le retrouver et à aider les membres de sa paroisse à résoudre leurs problèmes, le prêtre sent l’étau se refermer inexorablement sur lui, sans savoir s’il aura le courage d’affronter son propre calvaire…

Après le succès de son premier long-métrage L’Irlandais (The Guard, 2011), le réalisateur John Michael McDonagh revient avec un drame au goût doux-amer, teinté de mélancolie, de ressentiments mais surtout d’un humour noir délicieux. Spectateur de l’évaporation de la notion de divinité dans la société contemporaine, le réalisateur filme une communauté articulée autour d’un homme de foi qui s’accroche tant bien que mal à sa fonction et à ses croyances, le tout dans une Eglise irlandaise en proie aux scandales sexuels à répétition… Surprenant et décapant.


Le père James le sait, il va mourir le dimanche suivant ; et il connaît même personnellement l’homme qui va s’en occuper. Face à cette épée de Damoclès qui se balance au dessus de sa tête, au rythme du compte à rebours qui l’éloigne de son exécution, il va choisir de ne pas fuir et même de continuer à remplir son rôle de conseiller, de guide spirituel bienveillant. Ce faisant, il va côtoyer de nombreuses fois son meurtrier, l’aider dans ses problèmes… La première pépite du scénario de J.M McDonagh réside dans cette tension, celle qui vous prend aux tripes, celle qui vous fait vous demander sans arrêt si l’homme qui a prodigué ces menaces est celui avec lequel le père parle comme si de rien était, à ce moment même… Un suspense qui va rester sans appel jusqu’au dénouement.

Ainsi, on découvre à travers ce personnage de prêtre veuf qui officie dans un petit village perdu au bord de la mer, père d’une jeune femme suicidaire récidiviste, le portrait d’une religion en perte de vitesse dans un pays gravement entaché par ses scandales sexuels religieux. Face à ses fidèles, il ère, tantôt désabusé, tantôt plein d’espoir, en tentant vainement d’insuffler un peu de foi ça et là. Au fil de son avancement, on découvre alors les ficelles astucieuses que tisse J.M McDonagh pour guider le père James. Au rythme d’une enquête policière à l’envers, le cinéaste va faire passer son personnage par différents stades qui se rapprochent grandement de la théorie d’Elisabeth Kübler qui répertorie les phases de deuil : le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation. Evidemment, le traitement va privilégier certaines émotions à d’autres mais on va assister à l’évolution certaine d’un homme face à sa propre mort, qui va inexorablement tenter de laisser trace de son passage, durant une semaine de calvaire.

Hanté par un Brendan Gleeson excellent, qui offre toute son impérialité et son côté bourru à son personnage, Calvary avance dans une atmosphère lourde et rude que McDonagh n’hésite pas à contourner et à désamorcer avec un humour pince-sans-rire “so british“ délicieux. A travers des répliques mordantes et une galerie de personnages fantaisistes, il va dépeindre une société irlandaise contemporaine où chacun cultive un rapport personnel avec le culte. Il y a le bon chrétien qui pratique avec ferveur, le dubitatif qui va à l’église de temps en temps ou encore l’hypocrite qui pratique quand ça l’arrange. Parmi ces portraits, John Michael McDonagh rend tout son poids à l’affaire de pédophilie subie par l’un de ses paroissiens et offre à la demande de réparation une facette légitime. Par la même occasion, il va sous-peser l’atteinte subie par ces hommes de bonne foi face à ces affaires sordides qui les dépassent et montrer l’impuissance de l’Eglise. Car les religieux qui entourent le père James ne vont pas l’aider outre mesure qu’en prêchant des théories inutiles peu utiles en pratique qui les éloignent le plus possible du sujet qui fâche.

Dans un décor naturel à l’image de son héro, rustre et majestueux, John Michael McDonagh questionne habilement la foi de chacun dans ce thriller sociologique teinté de sarcasme. A mi-chemin entre clarté christique et tragique quotidien, Calvary puise tout son poids dans sa définition du doute et de l’abime alors qu’apparait distinctement la faux suprême. Le message, ici, n’est pas tant un plaidoyer pour mettre la doctrine catholique face à son inadéquation avec la société contemporaine mais plutôt un implacable réquisitoire contre une société et une époque vide de sens et égoïste. Avec Calvary, John Michael McDonagh puise dans tous les genres cinématographiques pour déployer un charme grinçant, noirâtre et terriblement burlesque. Grandiose et original.

Eve Brousse 

Note du support :
4
Support vidéo : Format 16/9 compatible 4/3, Format cinéma respecté 2.40, Format DVD-9
Langues Audio : Anglais, Français Dolby Digital 5.1
Sous-titres : Français
Edition : Fox Vidéo

Bonus:

La comédie dramatique : Calvary

Invité à l’occasion du 25e Festival du film britannique de Dinard, nous retrouvons le réalisateur de Calvary, John Michael McDonagh à la terrasse du Grand Hôtel Barrière.

Ciné Région : Comment avez-vous eu l’idée de Calvary ?

John Michael McDonagh : Je venais tout juste de finir le tournage de l’Irlandais. J’étais dans un bar avec Brendan Gleeson, l’acteur principal et il m’a demandé : « Qu’est-ce que tu veux faire ensuite ? ». A ce moment, je pensais qu’il y allait y avoir énormément de films au sujet de ces scandales d’abus sexuels dans l’Eglise et qu’ils allaient pour la plupart montrer un prêtre mauvais donc je voulais faire l’opposé, filmer un bon prêtre. J’ai pensé que ça pouvait être original. Par la suite, je me suis rendu compte qu’il n’y avait eu aucun film sur le sujet, les gens évitent d’en parler, c’est un thème si épouvantable… Quoi qu’il en soit, c’est de cette manière que l’idée est arrivée. Et puis j’aime beaucoup La Loi du Silence d’Hitchcock donc je voulais que le film ait la structure d’un thriller. Ensuite, toute est allé très vite, l’écriture du script, la recherche de financement. J’avais déjà mon acteur principal, Bendan Gleeson, donc la production de Calvary a suivit directement The Guard.

C.R : Est-ce que vous avez rencontré des ecclésiastiques ou des prêtres après la sortie du film ?

J.M.M.D : Je n’ai croisé aucun prêtre depuis que le film est sorti mais lorsque le film est sorti aux Etats-Unis, j’ai fais plusieurs entretiens avec la « Faith-based Organization », un ensemble de radios et de journaux sur le thème de la religion. Ces entretiens étaient tous très positifs, ils étaient ravis qu’un réalisateur traite la question du spirituel car on ne trouve plus beaucoup de film sur le sujet désormais, je suppose que c’est trop lourd. J’ai trouvé qu’ils étaient tous très captivés par le film et engagés à en parler autour d’eux. La réponse a été très positive je pense.

C.R : En 2011, vous avez remporté ici à Dinard trois récompenses pour L’Irlandais (Le prix du public, le prix coup de cœur et le prix de la meilleur photographie). Comment le public a accueilli Calvary ? Avez-vous noté des remarques ou des commentaires qui revenaient souvent ?

J.M.M.D : J’aime gagner des prix. Je suis un grand compétiteur donc je veux tout gagner et je m’énerve si je ne gagne pas (ndlr : sur le ton de la plaisanterie). Je dirais que dans l’ensemble, Calvary divise les avis. Beaucoup de gens vont vraiment l’apprécier mais je pense que c’est assez morne, le film traite d’un sujet très lourd, donc vous avez d’un côté des gens qui vont penser que c’est un chef-d’œuvre et d’un autre ceux qui vont le haïr. Mais à en juger par le lourd silence qui réside dans la salle de cinéma à la fin de la projection, j’ai l’impression que c’est un film qui reste avec vous. Je ne pense que qu’on puisse partir de la salle, aller chercher un hamburger et passer à autre chose. Même si on n’aime pas le film, on ne peut pas vraiment l’oublier, ce qui est plutôt bien. Mais je préfère quand même quand on l’apprécie.

C.R : Justement, lors de notre projection, à la fin du film, les spectateurs ont pris un certain temps pour applaudir et pour partir. On peut penser qu’ils sont en train d’imaginer la discussion qui est en train de se jouer. C’était un vrai parti-pris de faire participer le spectateur de la sorte ?

J.M.M.D : Je pense que la façon dont le film se termine est inhabituelle puisqu’il y a un gros silence et il doit se passer une minute avant que la musique du générique se lance. Donc je pense que les gens sont assez choqués par la façon donc ça finit même si selon moi, il y a de l’espoir dans la scène finale. Mais c’est sûr que ça doit toucher les gens et j’espère qu’un fois remis de leurs émotions, ils sortent et commencent à parler du film et de ce qu’ils en ont tiré, les questions spirituelles et tout ça… Quand je l’ai écrit, je l’imaginais plus comme une comédie et d’ailleurs, tous les acteurs du film sont plus connus pour leurs rôles dans des comédies. Je pense qu’il y a beaucoup d’humour dans le film mais c’est un humour très noir qui ne permet pas de parler de comédie.

**Avertissement SPOILER : la question qui suit comporte des indications sur la fin du film.

C.R: Vous dites qu’il y a de l’espoir dans la fin. Pour la fille ou pour le meurtrier ?

J.M.M.D : Je suppose qu’il y en a pour les deux. Concernant la fille, son père continue de vivre à travers elle parce qu’elle tente de pardonner au meurtrier. Selon moi, il n’est pas mort en vain car ses croyances spirituelles subsistent à travers elle, c’est l’élément d’espoir ici. Après, c’est au public de choisir si elle lui pardonne complètement ou non, mais au moins elle essaye.**

C.R : La dominante du film semble être sa noirceur, la tragédie davantage que l’humour et l’ironie, mais surtout un profond pessimisme. Qu’en pensez-vous ?

J.M.M.D : Oui, je suppose que nous allons tous mourir donc c’est une façon assez pessimiste de voir la vie. Bien sûr, certaines personnes pensent que l’on poursuit sa vie au paradis, je ne suis pas sûr que le film dise ça mais évidemment le prêtre pense ça et il veut faire le bien pour ça. Je pense que si les gens ont des croyances spirituelles, ils verront davantage le côté optimiste de la chose mais si ce sont des gens pessimistes, ils seront vraiment déprimés. C’est marrant parce qu’on a passé un très bon moment avec l’équipe à faire le film mais c’est bien sûr très différent du résultat sur l’écran. Mais je continue de penser que le film est drôle parce que je me souviens du tournage, de l’ambiance et du lieu qui était l’endroit où j’avais l’habitude de passer mes vacances d’été quand j’étais jeune. Donc l’endroit renfermait un nombre important de bons souvenirs pour moi. Mais vous savez, parfois c’est bon aussi d’être déprimé. Quelques-uns de mes auteurs favoris sont profondément pessimistes…

C.R : Pensez-vous que notre société contemporaine est en train de perdre ses valeurs comme le mariage, la foi ou même le simple respect, comme dans cette scène où deux garçons ont une conversation sur le tarmac et l’un d’eux est avachi sur le cercueil…

J.M.M.D : Je pense que cette scène est très frappante et je pense que la chose dont il faut se rappeler est que tout le monde a ses raisons. Pour lui, c’est juste un job, il s’ennuie dans son boulot et il ne pense pas forcément au fait qu’il y a un corps dans le cercueil. Jean Renoir disait : « tout le monde a ses raison », il tente toujours de comprendre l’être humain et essaye de se mettre à sa place pour connaître la raison de son acte. Je pense que la société a atteint un point de non retour avec Internet et les réseaux sociaux sur lesquels les gens ont plus de facilité à être injurieux ou méchant. Je n’ai pas de portable et je ne suis pas sur Twitter, je trouve personnellement qu’on y trouve trop d’imbécilités sans aucun sens. Il y a trop de discussions inutiles ces derniers temps. D’ailleurs, que ce soit dans L’Irlandais ou dans Calvary, j’ai essayé d’éviter de placer des objets modernes comme un ordinateur ou un téléphone, je trouve ça ennuyeux dans un film. On voit dans tellement de films des personnes qui ont des conversations à travers un téléphone, c’est si ennuyeux que je cherche à l’éviter à tout prix. Même le costume de prête de Brendan Gleeson est un peu « anti-modernité », les prêtres ne portent plus la soutane à présent. Mais je pense que j’essayais de faire une référence visuelle à La loi du Silence d’Hitchcock.

C.R : Vous avez donc écrit le scénario de Calvary pendant le tournage de l’Irlandais. Vous pensiez déjà à l’époque à Brendan Gleeson pour interpréter le père James ? Vous avez créé le rôle pour lui ?

J.M.M.D : Oui, spécifiquement pour lui puisque l’idée m’est venue lors d’une discussion avec lui. Ensuite, je lui ai montré la première ébauche du scénario et il avait de très bonnes remarques ou notes. Tout ce qui se trouve dans le film était là mais on a développé et beaucoup retravaillé les scènes entre le prêtre et sa fille car il pensait que cette relation méritait un traitement plus approfondi. Je ne pense que je reverrai le script avec d’autres acteurs parce que la plupart du temps, ils demanderaient davantage de scène avec eux, mais Brendan voulait vraiment donner plus d’importance au rôle de Kelly Reilly et je pense que ça a vraiment aidé le film. Il a aussi demandé à ce que les scènes avec M. Emmet Walsh qui joue l’écrivain soient plus chaleureuses de sorte qu’on mette en avant la seule personne de la ville qui ne le haïsse pas.

C.R : Tous vos personnages ont un côté sombre et chacun d’entre eux est un suspect potentiel. Dans ce paysage, que représente le jeune garçon ? Un espoir ? Ou bien est-il simplement témoin de tout ça ?

J.M.M.D : Je pense qu’il est surtout témoin mais évidemment, il y a quelque chose de bizarre à son sujet car il peint ces scènes et ces paysages qui se réalisent ensuite donc je suppose qu’il a quelque chose de télépathique. Au fond, il est là est pour montrer la relation innocente qu’il entretient avec le prêtre, il n’y a rien de sinistre dans cette relation. Je suppose qu’à l’arrivée, le jeune garçon est dans la même position que le public, en train de regarder les deux hommes se confronter. Je pense qu’il fait partie de ces éléments qu’il est bon d’avoir dans un film, des éléments qu’il faut offrir au public et les laisser se les approprier et interpréter les choses comme ils le souhaitent.

C.R : Quels sont vos projets à présent ?

J.M.M.D : Je vais réaliser mon premier film américain au Nouveau Mexique si tout va bien. Il s’agira plutôt d’une comédie proche de l’Irlandais qui aura une fin assez noire. Ca racontera l’histoire de deux agents de police corrompus avec Garrett Hedlund (Sur la route) et Michael Peña que j’ai beaucoup vu dans des comédies mais aussi dans End of watch avec Jake Gyllenhaal. Normalement, on commence le tournage en Mars 2015.

Entretien réalisé et retranscrit par Eve Brousse.

Fiche technique

·       Titre : Calvary

·       Réalisation : John Michael McDonagh

·       Scénario : John Michael McDonagh

·       Montage : Chris Gill

·       Musique : Patrick Cassidy et Liz Gallacher

·       Photographie : Larry Smith

·       Producteur : Chris Clark, Flora Fernandez-Marengo et James Flynn

·       Coproducteur : Elizabeth Eves et Aaron Farrell

·       Producteur délégué : Ronan Flynn et Robert Walak

·       Producteur exécutif : Patrick O'Donoghue

·       Production : Irish Film Board, Lipsync Productions, Octagon Films et Reprisal Films

·       Distribution : 20th Century Fox

·       Pays d’origine : Irlande et Royaume-Uni

·       Genre : Comédie dramatique

·       Durée : 105 minutes

Distribution

·       Brendan Gleeson : Père James Lavelle

·       Chris O'Dowd : Jack Brennan

·       Kelly Reilly : Fiona Lavelle

·       Aidan Gillen : Dr Frank Harte

·       Dylan Moran : Michael Fitzgerald

·       Isaach de Bankolé : Simon