Les petits cafés perdus, ceux du fin fond de la province ou des boulevards, glissés dans l’ombre où le chaland vient écluser son verre avant la tombée de la nuit. L’hirondelle face au cimetière ressemble à ces bistrots de notre enfance où le verbe haut et le verre levé, on allait à la messe en argot. Nous allons pénétrer dans le cœur de la bête de 6h30 au petit matin quand la rosée sèche à peine et que le calva accompagne le caoua. La caméra s’avance et saisit le patron dans une première sentence, une de ces phrases qui ne s’inventent pas et refont le monde. Entre les employés des pompes funèbres, le peintre perturbateur, le client chômeur cloué au comptoir, les femmes de passage, vissés à leur chaise, le monde se refait une permanente dans le Malzingue jusqu'à la fermeture à 22h30. Elles s’effaceront avec les ombres, ces phrases, âme de notre société entre ironie, philosophie, connerie, juste ou de travers et se perdront dans l’asphalte de l’oubli pour renaître ailleurs.
« En moto, tu peux boire plus qu'avec la voiture, le vent, ça dessoûle. » Jean-Marie Gourio
Jean-Marie Gourio le scénariste et le réalisateur Jean-Michel Ribes parlent du " film le plus parlant depuis l’arrêt du cinéma muet" ! La mise en scène ne joue pas la star, ne cherche pas l’esbroufe, mais se veut simple et au service du texte. Sans que le film ne s’apparente au théâtre filmé, il s’appuie sur les mots pour le porter. L’espace est clos, mais la parole porte au large et lui donne de l’horizon, de l’espace. Face caméra ou en retrait, ces bouts d’univers explosent et assènent l’estoc comme le bretteur. À la fin de l’envoi, je touche ! Les deux acolytes aiment l’expression juste, le premier pour la piéger dans ses Brèves de comptoir depuis 1998, et le deuxième pour l’enrober dans sa mise en scène. Pendant 1h40 nous touchons au cœur du monde, parfois sublime ou pitoyable, fragile, il dévoile notre âme mise à nue sans concession. Abandonnons le décor pour l’essentiel, miroir de notre société, entre les conversations sur la politique, la vie courante, les impôts, le chômage.
« Quand on voit ce que consomment les bagnoles, c'est pas un exemple pour les chauffeurs. »Jean-Marie Gourio
Minot, les jambes courtes, cavalant derrière mon père champion du limonadier, maître du comptoir, je saisissais avec peine les phrases qui fusaient comme des missiles à frappe chirurgicale. Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience de leur force et de leur faiblesse. Comme le dit Jean-Marie Gourio, il suffit de s’appuyer au comptoir, d’écouter la valse à mille temps de l’âme des gens simples touchant l’essentiel. La mise en scène de Jean Michel Ribes, de la même façon, ne se la joue pas. Elle glisse d’abord sur ce cimetière où les buveurs et non buveurs finiront tous en cendres ou menu pour les vers. Elle pénètre dans l’antre de l’agora du monde où s’étaleront les bons mots comme autant de perles au collier du mot juste. Elles ne font pas toujours mouche, mais en majorité, elles ressemblent aux phrases du maître pour guider l’élève vers l’éveil.
« Le naturisme, sur le dépliant c'est des jeunes filles à poil sur la plage, mais quand tu y es, c'est que des retraités de la SNCF. » Jean-Marie Gourio
Elles ne se composent pas de longs discours, mais de quelques mots ramassés, tassés, brèves tapant au cœur. Une fois dans le café, nous oublions la caméra, pour saisir le mot qui brise ce manque d’espace et nous entraîne vers l’infini. C’est ici chez nous, comme pour ces 73 passants qui rentrent à la maison et reçoivent les amis pour une parole partie. Déjà dans sa série Palace Jean Michel Ribes avec un Carmet, face caméra, utilisait ces bouts de vérité pour les asséner comme des sentences inéluctables. Il les reprend dans une pièce qui connaît un énorme succès, nous retrouvons une bonne partie des comédiens dans la distribution. L’alcoolisme, la solitude, la misère de l’âme se mettent à nu. Il jette la phrase comme une bouée à la mer pour être écouté, vivant, un instant seulement volé au temps de l’espoir, l’illusion d’exister, de compter.
Comme le disait mon père : « ici c’est la cour des Miracles, la dernière station avant l’oubli ». La seule qui se souvient de vous est la Faucheuse au dernier jour, pour le dernier bon mot. Le film évite de porter un jugement, il dévoile derrière ses apparences, une misère encore plus profonde, celle de la vie des pauvres gens comme le chantait Ferré. Le film peut paraître un peu long pour certains, il suffit de se concentrer sur la phrase pour oublier le temps qui passe.
« Quand tu tues ta femme, c'est pas la peine de prendre la fuite, elle va pas te courir après. Ca m'inquiète de prendre la voiture bourré, mais en ce moment j'ai pas le choix, je suis tout le temps bourré. » Jean-Marie Gourio
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Brèves de comptoir
Réalisateur : Jean Michel Ribes
Scénario et dialogues : Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio, d'après les Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio
Musique : Reinhart Wagner
Directeur de la photographie : Philippe Guilbert
Décors : Patrick Dutertre
Montage : Scott Stevenson
Production : Dominique Besnehard, Michel Feller et Jean-Michel Ribes
Sociétés de production : Monvoisin Productions et Ulysse Films1
Distribution : France Diaphana Films
Durée : 100 minutes
Genre : comédie
Distribution
André Dussollier : L'homme politique1,2
Yolande Moreau : Madame Lamelle
Bruno Solo : Bolo
François Morel : Pivert
Grégory Gadebois : Chauffeur de taxi
Chantal Neuwirth : La patronne
Laurent Gamelon : Rubens
Annie Grégorio : La postière
Dominique Pinon : Chauffeur de taxi
Laurent Stocker : Monsieur Laroque
Patrick Ligardes : Le coiffeur
Samir Guesmi : Couss
Christian Pereira : Le garçon de café
Didier Bénureau : Le patron
Michel Fau : L'écrivain
Olivier Saladin : Pulmoll
Régis Laspalès : La Moule
Philippe Chevallier : Monsieur Latour
Alban Casterman : Monsieur Jean
Rachel Pignot : Choriste
Dominique Besnehard : Choriste
Gilles Cohen : L’Anesthésiste
Philippe Vieux : Employé pompes funèbres
Isabelle de Botton : Joueuse de cartes
Lola Naymark : La rousse
Grégoire Bonnet : Le contremaître
Sébastien Thiéry : Le type à casquette
Ged Marlon : Employé Monofixe
Valérie Mairesse : Madame Pelton
Daniel Russo : Jacky
Raphaëline Goupilleau : Employée Monofixe
Marie-Christine Orry : Employée Monofixe
Christine Murillo : La commerçante
Serge Bagdassarian : Le philosophe
Jenny Cleve : La vieille dame
Marcel Philippot : Monsieur Rabier
Jean-Claude Leguay : La Tonne
Eric Verdin : L'égoutier
India Hair : La gourmande
Alexie Ribes : Gigi