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affiche Birdman

Birdman

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Un film de Alejandro González Iñárritu,
Avec Michael Keaton, Zach Galifianakis, Edward Norton,

Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h59
États-Unis

En Bref

« Action ou vérité », tout n’est qu’un jeu. Action ou vérité, cela ne renvoie pas qu’à ce jeu d’adolescents voulant s’avouer un secret enfantin. Action ou vérité, c’est la question du métier d’acteur. Simple action ou vérité fondée ? Le monde n’est-il pas un plateau où chacun s’évertue tant bien que mal à jouer un ou une multitude de rôles ? Birdman fut pour Riggan Thompson, interprété par Michael Keaton, le rôle de sa vie auquel tout le monde l’assimile encore.

Si le jeu n’a pas une part de vérité comment expliquer ces rôles qui hantent les acteurs, où le personnage en vient à se confondre avec lui, évoquant par exemple le triste Ledger/Joker dans The Dark Knight ou le personnage de Natalie Portman dans Black Swan. De ce dernier, il n’y a pas que les plumes qui restent en l’acteur mais aussi cette voix roque résonnant dans la tête du protagoniste. Le rôle de Birdman hante les spectateurs, les critiques, comme lui-même, et Thompson semble voué à être à vie un oiseau aux yeux des gens.

Birdman est l’oiseau dans sa tête. Cette oiseau s’en est allé en même temps que le succès cinématographique, pas sa popularité. « La célébrité est la petite cousine partouzeuse du prestige » rétorqua dans ce jeu d’opposition Mike Shiner, son partenaire de théâtre. C’est cette interrogation sur le métier d’acteur et les hauts et bas d’une carrière où chaque choix peut tout changer, comme une remise en cause permanente pour ceux qui veulent toujours rester en haut de l’affiche. La mise est ici placée sur l’adaptation par cette ancienne gloire du cinéma d’un texte de Raymond Carver à Broadway.


De Mike Shiner, comédien avec le vent en poupe, une question subsiste : jouer doit-il être toujours plus réaliste ? Le trublion explosif superbement interprété par Edward Norton est le déclencheur de ces questionnements. Il déplace les frontières du réel, différemment du récent et perturbant Réalité de Dupieux, par provocation, par envie de vérité dans l’action du métier d’acteur. Le jeu est alors remis en cause, dans ce besoin d’être mis en condition pour mieux être interprété. Être soûl pour jouer un homme soûl ou ne pas simuler une scène de sexe par exemple. C’est la quête des acteurs, dans un besoin constant de réalisme, comme la société actuelle du toujours plus. La puissance du théâtre en comparaison au cinéma, où le réel doit se brouiller dans le jeu et non dans la technique. Ici on ne peut pas tricher. Cette puissance est l’une des essences du film dans cette descente dans les coulisses labyrinthiques des loges du théâtre.

C’est pourtant à travers la technique qu’Alejandro Gonzalez Inarritu livre une oeuvre à l’impression de réel, quatre fois oscarisé cette année dont meilleur film et réalisateur. La fluidité des plans, dont la sensation est telle à un seul et unique plan-séquence, est comme une condensation du temps, par la technique. Encore une fois le montage a pour ce réalisateur une place importante, lui qui éclatait le temps dans ses beaux Amours chiennes, en 1999, mais aussi 21 grammes, en 2003. Comme les acteurs, ce dernier joue avec le montage et donc la réalité, le temps aussi et réduit les durées grâce à des plans en contre-plongée sur des buildings où la nuit et le jour ne semble former qu’une unité.

Cette plongée illustre bien, le besoin du milieu artistique, son fonctionnement boulimique. Et à ce jeu argent et créativité artistique peuvent entrer en collision. L’arrivée de Mike Shiner est surtout vu comme un atout financier… quitte à mettre en péril le film, par son caractère. Cette corde sensible marque l’équilibre à trouver dans les projets, et les potentiels choix de carrière des différents acteurs. L’intérêt de la continuité d’un blockbuster, la jalousie des autres et l’envie d’être aimé… Au final ce film n’est pas véritablement une plongée dans ce milieu mais plus dans la tête d’un de ses protagonistes illustrant à merveille cette volonté subsistante. Le côté descriptif et la sensation même ressortant du film est celle recherchée et ressort comme une réussite.

Autour de Birdman ne gravite pas qu’un superhéros mais une équipe complète. La palette de personnages même si elle se réfère à des catégories presque caricaturées, de la toxicomane, à l’homme en quête de sens, au producteur rationnel, offre une force impressionnante où il ne semble n’y avoir aucun second rôle. Les touches apportées par les acteurs sont de subtiles nuances, dessinant ce paysage artistique riche en personnalités et surtout en acteurs de qualité, où dans ces longs couloirs la caméra embarquée croise Emma Stone sa fille, Naomi Watts une comédienne, Zach Galifianakis, le producteur… Sans oublier cet Edward Norton, compère de Riggan, apportant une pesante guère des nerfs et poussant le personnage principal dans ses retranchements au cours de ce presque huis-clos dans le berceau du théâtre. Oui, au sommet de la pyramide comme il fut au sommet du succès avec son Birdman, se dresse Michael Keaton dans un rôle à sa guise. Remplit de contradictions mais avec un fond sympathique, il incarne une complexité frôlant la folie, l’impact de la profession et ses conséquences sur la vie.

C’est la chute, le vécu de nombreuses personnalités dans le besoin constant de se relancer, la difficulté d’être le temps d’une vie encore vivant dans ce tourbillon émotionnelle, ce ravissement de conscience et de tout sens. En adéquation avec son époque, le besoin d’exister se fait dorénavant via les nouvelles technologies… mais aussi les anciennes. Et si une page Facebook ou Twitter semble nécessaire, une critique dans le New York Times, à l’ancienne, impacte véritablement la suite des choses. Ici tourné en dérision, comme nombreux procédés et exagérations du milieu, l’interdépendance des critiques prend une forme visuelle et le toujours-plus-spectaculaire recherché constamment prend lui du sens. Le film fait preuve d’une véritable ambition et sans péjoration aucune pour le milieu des Oscars et le système américain, il semble tailler pour, machinalement. De l’auto-critique du milieu artistique, aux personnages, aux sujets abordés trop nombreux et pas assez traités, à la caricature et procédés connus, le film est une oeuvre original malheureusement aux airs de déjà-vue.

Petite mention encore à Emmanuel Lubezki, directeur de la photographie, qui après avoir éclairé Cuaron et Malick notamment d’une façon éblouissante, vient ici encore apporté sa touche, quand la caméra gambade dans les sous-sols des planches abusant des contre-plongées et gros plans.

Birdman n’est hélas pas un oiseau surprenant, malgré une fin à rebondissement et une possible portée optimiste d’un monde cruel. L’une des ultimes scènes est prévisible et malgré tout splendide, avec ce contre-champ sur la salle de théâtre. Oui, nous sommes en plus d’acteurs également spectateurs, spectateurs de notre chute et du temps qui passe. Prévisible et splendide, complexe comme Birdman, complexe comme le film, appréciable et réussi mais pas transcendant. Le film d’Inarritu est semblable au milieu qu’il décrit, avec des élans de folies et riches en débats et réflexions, mais également trop efficace et maîtrisé. Alors célébrité et prestige pour ce film ?

Clément SIMON

Note du support : n/a
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