Les morts continuent de nous parler d’influer sur notre destinée. Trois ans après la mort d’Isabelle, photographe de guerre réputée, la famille continue de vivre sous le poids de la perte ineffable. La femme de Jonah, le fils ainé, accouche d’un petit bout de vie qui devrait réjouir la famille. Le père, sans succès, tente de renouer les liens avec le plus jeune, Conrad. A l’occasion d’une exposition rétrospective sur l’œuvre de leur mère, un silence, un secret ressurgit. Elle n’avait jamais disparu de leur mémoire, de leur vie, fantôme tenace accroché à la mémoire des vivants. Cette exposition devient une route initiatique, un long chemin du souvenir, un temple où poser les offrandes.
Gene, le père, ouvre des portes de pièces obscures où se dévoile des parts d’ombre de sa bien-aimée. Avec la parution d’un article sur la vie de sa femme dévoilant la vérité sur sa mort, il s’interroge sur la conduite à suivre vis-à-vis du plus jeune. Ce dernier arrive à l’âge où l’on se questionne sur le sens de la vie. C’est le passage de l’adolescence à la construction de l’adulte de demain. Apparait le premier amour que l’on accroche dans son âme, petit autel qui ne disparaît jamais. Peu à peu, dans le silence, quand les mots ne peuvent plus, ne doivent plus, là où siège la douleur, la rédemption pour les uns et le deuil pour les autres trouve la flamme nécessaire. Ils pourront enfin bâtir leur existence à leur guise, libérés du poids de la douleur et des fausses promesses.
Après Oslo 31 où le réalisateur explorait déjà le sentiment, le lien familial, la nécessité de vivre, il approfondit sa thématique autour d’une famille brisée par la mort de l’un des siens. Nous remarquons de nombreux ponts entre Oslo 31 et Back Home, la même route partant du chaos intérieur pour aboutir à la reconstruction ou la mort. La mère et le héros d’Oslo 31 suivent la même route aboutissant à une vie perdue où l’on ne retrouve plus sa place. La seule porte de sortie devient le suicide, arrêter la roue du karma. Peut-être que le bébé du début est la réincarnation de cette mère perdue ? Isabelle se perd dans le chemin de douleur des champs de bataille, elle immortalise la mort, le néant des familles décomposées. Comme pour L’Epreuve, film norvégien, elle ne reconnaît plus sa place au sein de la famille. Celle-ci avance, bouge évolue, se modifie, change et elle finit par ne plus la reconnaitre.
La photo représente la métaphore de la mort, du chaos, visages de souffrance, corps jetés en terre. Le cinéma, à l’inverse, est l’art de la vie, il bouge, avance, ne se fige pas. Dans le rôle de la mère, Isabelle Huppert, une fois de plus, est magnifique, tout en délicatesse dans cette décomposition de l’âme. La séquence de l’accident au ralenti marque peut-être un espace, un temps entre l’immobilité de la photo et le mouvement du cinéma. Il se trouve entre les deux. Le héros d’Oslo 31 s’interroge sur le sens de la vie et la nécessité de continuer pour finir par quitter la route, comme Isabelle. Les trois hommes de la famille, à leur façon, parcourent le même cheminement mais cette fois la réponse est différente.
Le père tente, trois ans plus tard, de se reconstruire dans une nouvelle aventure amoureuse. Jonah, le fils ainé, devrait être un père comblé mais cette exposition et le retour du premier amour de jeunesse le trouble. Premier amour pour Conrad avec cette jeune fille de sa classe qu’il n’ose aborder. Le garçon se réfugie dans les jeux vidéo en créant des avatars imaginaires. La communication avec son père semble évaporée, disparue, depuis la mort de la mère. Pour le préserver, on transforme le suicide en accident. Une fois de plus, la vérité et le mensonge, le sens de la parole semblent importants. Cacher la vérité conduit à plus de douleur que la dire.
Le film mélange l’imaginaire du plus jeune, réfugié comme tous les gamins de son âge dans des moments où la réalité disparaît pour laisser la place à nos fantasmes. Il mélange aussi le passé avec la présence de la mère et le présent. Le premier défile comme un bonheur utopique, sublimé par la mort et le dernier comme un présent que l’absence rend trop difficile à affronter. Les mots s’envolent parfois, accompagnant l’image pour la sublimer dans une poésie du verbe et de l’image. Comme cette séquence où Conrad et sa copine rentrent chez eux, c’est un moment magique, magnifique, où les mots, la pensée dévoilent notre cœur. A la fin, c’est le père qui marque le point d’ancrage où les deux fils trouveront la force de leur rédemption.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Louder Than Bombs
Titre de diffusion : Back Home
Réalisation : Joachim Trier
Scénario : Joachim Trier, Eskil Vogt
Musique : Ola Fløttum
Photographie : Jakob Ihre
Casting : Laura Rosenthal
Montage : Olivier Bugge Coutté
Décors : Molly Hughes
Costumes : Emma Potter
Producteurs : Joshua Astrachan, Albert Berger, Alexandre Mallet-Guy, Alexandre Mallet-Guy, Marc Turtletaub, Ron Yerxa
Co-producteurs : Bo Ehrhardt, Mikkel Jersin, Olivier Père
Producteurs exécutifs : Naima Abed, Michael B. Clark, Sigve Endresen, Emilie Georges, Frederick W. Green, Nick Shumaker, Joachim Trier, Eskil Vogt
Sociétés de production : Motlys, Animal Kingdom, Arte France Cinéma, Bona Fide Productions, Memento Films Production, Nimbus Film Productions
Pays d'origine : Norvège
Langue originale : anglais
Durée : 109 minutes
Genre :Drame
Dates de sortie : 18 mai 2015 Au Festival de Cannes,9 décembre 2015 en salle
Distribution
Jesse Eisenberg : Jonah Reed
Gabriel Byrne : Gene Reed
Isabelle Huppert : Isabelle Reed
David Strathairn : Richard
Amy Ryan : Hannah
Rachel Brosnahan : Erin
Devin Druid : Conrad Reed
Megan Ketch : Amy
Ruby Jerins : Mélanie