C’est un poste de police quelque part, ici ou ailleurs, intemporel. Face à face Buron, inspecteur efficace aux méthodes particulières et son suspect. Il privilégie la parole à la lampe en pleine tronche et la torgnole comme leitmotiv. C’est donc avec subtilité qu’il tente de percer à jour les motivations d’un homme ordinaire dans une situation qui ne l’est pas. Fugain est-il le criminel le plus doué de sa génération ou un simple passant pris dans une situation qui le dépasse ? Pour le seconder dans ce jeu du chat et de la souris, le commissaire peut compter sur son fidèle assistant, Philippe. Cette situation banale échappe très vite aux protagonistes de cette histoire pour devenir surréaliste. « Il faut se méfier des apparences, elles sont le plus souvent trompeuses » pourrait être le nouveau dicton du jour. C’est à vous de voir !
Quentin Dupieux revient près de chez nous pour un premier film français. Parti chercher fortune aux Etats-Unis, il se fait remarquer après Steak par le grand public avec l’histoire d’un pneu qui a du mordant Rubber. Il enchaine avec Wrong, Wrong Cops, et Réalité. Le cinéma de Quentin Dupieux appartient sans conteste au surréalisme jusque dans son écriture. Il échappe à toute logique et au bon sens pour déraper rapidement et nous entrainer sur des territoires que la raison ignore. Pourtant, c’est toujours l’individu et la société qui semblent au centre du sujet. Nous percevons l’hommage à Garde à vue et tout ce cinéma de la grande époque avec cette affiche parodiant Peur sur la ville avec Belmondo d’Henri Verneuil. Derrière le jeu d’échecs entre les deux hommes, un flic et un présumé innocent, se cachent un regard sur notre société et une réflexion bien plus philosophique sur le monde.
Nous pensons à ce texte de Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système. Selon les auteurs, l’organisation est vue ici comme « le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul » et comme « un construit humain qui n’a pas de sens en dehors des rapports de ses membres ». Nous rajouterons que dans la vie nous jouons tous un rôle et que nous portons des masques cachant notre vraie nature. Nous changeons ainsi de personnage au gré du temps, des situations, de l’existence. Au poste, sous ses allures surréalistes et décalées, dissimule une analyse bien plus subtile de nos rapports. Nous nous interrogeons, sur cette situation qui semble échapper complètement aux personnages de l’histoire et s’achève sur un rebondissement spectaculaire. Dans la filmographie du réalisateur, Au poste est le film qui devrait atteindre un public plus large en respectant son univers surréaliste.
Nous pensons à celui de Bertrand Blier, Albert Dupontel, et une grande partie du cinéma belge d’aujourd’hui. Il s’inscrit dans une longue lignée de créateurs inspirés, consciemment ou non, par le mouvement d’André Breton, comme Cocteau, Terry Gilliam, Luis Buñuel, Alejandro Jodorowsky, Arrabal, et de nombreux autres. Sous des aspects décalés et à contre-pied, il nous en dit toujours plus sur nos petits travers et nos aspirations à un monde meilleur. Ainsi, derrière le jeu de pouvoir de ce face-à-face et les différents intervenants dans le cours de cette partie d’échecs, c’est nous-même que nous observons. C’est la futilité de l’existence qui, en un instant, bascule dans une réalité qui lui échappe. Le jeu de la folie et du hasard ne serait peut-être pas si innocent.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus :
Commentaire audio de Quentin Dupieux
Titre : Au poste
Réalisation et scénario : Quentin Dupieux
Producteur : Mathieu Verhaeghe et Thomas Verhaeghe
Image et montage : Quentin Dupieux
Son : Guillaume Le Braz
Décors : Joan Le Boru
Costumes : Isabelle Pannetier
Maquillage : Milou Sanner
Effets visuels : Olivier Tournayre
Directeur de production : Stéphane Avenard et Romain Cros
Superviseur de post-production : Abraham Goldblat
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Langue : français
Genre : Comédie
Date de sortie France : 4 juillet 2018
Distribution
Benoît Poelvoorde : Buron
Grégoire Ludig : Fugain
Marc Fraize : Philippe
Anaïs Demoustier : Fiona
Orelsan : Sylvain
Philippe Duquesne : Champonin
Jacky Lambert : Franchet
Jeanne Rosa : Narta
Vincent Grass : l'homme de ménage
Nahel Ange
July Messéan : Louise
Johnny Malle
Laurent Nicolas
Michel Hazanavicius : le flic à la fin
Pedro Winter : policier
Alain Chabat