Cine-Region.fr
affiche Asphalte

Asphalte

___

Un film de Samuel Benchetrit,
Avec Gustave Kervern, Isabelle Huppert, Valeria Bruni-Tedeschi,

Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h40
France

En Bref

Valeria Bruni-Tedeschi se tient dans la pénombre du petit couloir la menant à l’hôpital, où la nuit elle se métamorphose en infirmière. La rencontre hasardeuse, basée sur une supercherie de Gustave Kervern (Sterkowitz), bouleverse ses petites habitudes. Chaque soir, il la sort de son quotidien (l’hôpital) en sortant du sien (la banlieue). Prétendument photographe, elle ne croit pas en sa sincérité de vouloir la prendre en modèle - alors même que le mensonge est ailleurs. Elle accepte finalement avec un plaisir inavouable et en s’avançant délicatement, son visage repasse sous la lumière. 

L’asphalte se définit comme une « sorte de bitume, mou, glutineux » (définition cnrtl.fr) imageant l’emprise dans le sol, l’incapacité à pouvoir s’envoler. Cet Asphalte, réalisé par Samuel Benchetrit d’après ses romans autobiographiques Chroniques de l’Asphalte, ce sont des personnages attachants et atypiques dans un univers fantomatique, sans pour autant être hostile. L’élégance du sujet réside dans cette impression certaine de ne pas se concentrer sur la banlieue, mais sur des trajectoires, des gens à la vie et aux émotions en yo-yo. L’asphalte est comme la poétique du rêve, de l’échappatoire vers la lumière, qui passe par un départ et une fuite imaginaire, se concentrant sur la relation à l’autre, quand elle ne peut se matérialiser. Et souvent cette tangente se loge dans l’artistique.


La lenteur des premiers plans, avec ces corps en mouvement et sans dialogue alterne méticuleusement avec des plans larges et statiques, semblables à des tableaux, où la solitude devient la norme. Avant ces longs passages, la première scène avec Sterkowitz illustrait le ton du film, peu bavard et souvent décalé, et où le réalisme avait, lui, trouvé un échappatoire. Cette scène met surtout en exergue la clé de l’une des hardiesses du film : l’importance du détail, créant l’illusion d’un lien dans un film qui se refuse d’être choral. Risqué au point de faire ressortir les évidences, Benchetrit tourne tout cela à la dérision, ou quand le vélo d’appartement, par exemple prend son sens, après que Sterkowitz l’ait contemplé longuement. L'humour n'est pas qu'une illusion.

Asphalte s’assume en film de personnages, de duos, parfois se repoussant, parfois se complétant, souvent s’entraidant. Les acteurs font beaucoup dans l’élaboration de cette tonalité singulière, rejetant réalisme et appelant leur côté lunaire et décalé. Gustave Kervern ne pouvait être mieux choisi : les quelques cheveux en bataille sur sa tête poussent aux rires injustifiés et la tendresse méritée. Isabelle Huppert, elle, va jusqu’au bout des choses, dans un rôle à contre-emploi, en actrice raté et alcoolique, et nous offre un panel de son talent dans une des scènes finales où elle joue face caméra une pièce de théâtre, à l’influence diégétique. Lui fait face le fils du réalisateur et de Marie Trintignant, qui avec sa désinvolture d'adolescent happe la caméra avec attention.

Contrairement à Dheepan de Jacques Audiard, l’intérêt tient dans les personnages et la dose d’humanité et de solidarité qu’ils laissent émerger. Asphalte vient rappeler à quel point Audiard semblait ne se servir de ce lieu uniquement pour les besoins de son récit, allant excessivement rendre les banlieues infréquentables. Le brillant et complet duo Tassadit Mandi/Michael Pitt - peut-être le plus attachant mais aussi prévisible - reproduit une des actions du film qui reçut la Palme d’Or 2015, quand ils n’arrivent pas à échanger dans une même langue. Dans Dheepan ces scènes rendaient les personnages presque animaliers et peu crédibles. Ne pouvant se comprendre, ici, ils échangent difficilement mais tout en dévouement et la compréhension de l’autre devient un exercice qui rappelle l’essence même de l’homme. Une jolie réponse. 

Parfois se pose la question de la localité de ce lieu regorgeant de tous ces êtres meurtris ? Existe-t-il vraiment ? Le sentiment de coupure au monde et à la réalité préexiste. Asphalte se contente partiellement d’être une tentative de réhabilitation des banlieues, où il fait bon y vivre, et où les bons sentiments finissent par l’emporter. Le rythme se retrouve souvent rompu. Mais Benchetrit n’oublie quand même pas de connecter cela à quelques difficultés évidentes de la vie de banlieue, un peu facilement surement comme dans les traits de certains gags. Les intentions cinématographiques prennent néanmoins le dessus, dans ce que l’on pourrait qualifier d’exercice de style réconfortant, où le geste artistique est mis en évidence comme un moyen d’exaltation - via la vidéo, le théâtre, la photographie - de la même façon que la lumière et les astres.

Le bruit sourd dont tout le monde parle, saupoudrant la vie des habitants du quartier d'un soupçon de mystère : c’est une légende. Une légende, comme si la banlieue résonnait tel un lieu incompris, qui à la fin prend alors son sens, via le film. Benchetrit parlait, sur France Inter, de la banlieue comme « une mère » et « un grand ventre, dans lequel sont logés plein d’enfants ». Le côté maternel semble une évidence dans les ressentis que dégage le film. La puissance du film n’est que plus grande tant elle ne provient pas du réalisme et de sa capacité d’identification. Comme un OVNI, un conte atypique dans le rythme et l'humour, nous prenons la trajectoire inverse du cosmonaute et l’asphalte semble ici bien loin, se rapprochant plutôt de l’apesanteur.

 Clément SIMON

Note du support : n/a
Support vidéo :
Langues Audio :
Sous-titres :
Edition :


Titre original : Asphalte

Titre international anglophone : Macadam Stories

Réalisation : Samuel Benchetrit

Scénario : Samuel Benchetrit, d'après ses romans autobiographiques Les Chroniques de l’Asphalte

Décors : Jean Moulin

Costumes : Mimi Lempicka

Photographie : Pierre Aïm

Montage : Thomas Fernandez

Musique : Raphaël

Production : Julien Madon, Ivan Taïeb et Marie Savare de Laitre

Sociétés de production : A Single Man, Maje Productions et La Camera Deluxe, coproduit par Emotions Films UK, Jack Stern Productions, Film Factory, Orange Cinéma Séries, avec le soutien de la région Alsace1, du CNC, du Fonds Images de la Diversité et de la Commission Images de la Diversité2

Distribution : Paradis Films (France), TF1 International (Monde)1

Pays d'origine : France

Langues originales : français et anglais

Format : couleur