Cine-Region.fr
affiche Amour fou

Amour fou

___

Un film de Jessica Hausner ,
Avec Birte Schnoeink, Christian Friedel,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h36
Autriche

En Bref

Lors d’une avant-première de son film, la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner a déclaré qu’il y avait dans la vie comme au cinéma des points critiques, moments phares, et ce qu’elle a voulu filmer : ce qui se passe entre ces points critiques. A la façon de son ancien maître, l’homme pour qui elle a été assistante : Michael Haneke.

Avec audace, après des œuvres comme Hotel ou Lourdes ayant rencontré un certain succès, elle vient placer son sujet dans l’histoire nationale. Le film suit ce poète majeur de la littérature germanique : Heinrich von Kleist. L’originalité de l’œuvre tient dans l’angle abordé, vouloir se servir de ce personnage pour montrer les doubles suicides était le terreau de son projet, finalement aboutissant à bien plus.

En 1811, Heinrich, solitaire mélancolique ne supportant plus la vie, décide en effet d’en finir. Sensible et étranger à son monde, l’acte doit prendre une forme particulière, donnant vie à la mort. C’est sa rencontre avec Henriette, jeune femme aristocrate qui pourrait tout changer. Cette dernière ne connaît du jeune poète qu’une œuvre sur les histoires de mœurs peu catholiques d’une marquise. Tellement absurde pour l’époque que son mari en vient à penser que c’est un bon écrivain puisqu’il réussit une transmission de valeurs, presque annonciatrice. La vision de la mort par Henriette, de cet être même l’incarnant autant que le mystère et la morosité, soudainement évolue. Un diagnostic. Une maladie dans le corps ou dans l’esprit ? L’idée folle pour elle de mourir avec un quasi inconnu devient possible. Est-ce l’amour ou la peur de la mort ?


La parenté avec l’immense Haneke ne se cantonne pas uniquement au titre. Du chef d’œuvre Amour de son aîné, elle marque la filiation par un adjectif supplémentaire. Le sujet aussi semble parallèle, là où à la fin de la vie d’un couple, une dualité à l’aube de la mort, se substitue aux jeunes dans la fleur de l’âge et pourtant aussi proches d’elle. Mise en scène et montage, de même, trouvent une résonance au niveau de l’ambiance. Hausner semble véritablement ne pas avoir peur du réalisme. Ambiance glaçante pour personnages figés. La phrase de l’artiste en ouverture ponctue une des réussites du film. Sa caméra, très souvent fixe, où les mouvements ne sont pas légion, n’a pas peur d’aller au bout des choses.

La dictature du grand spectacle et l’intérêt de plus en plus grand accordé au public n’y font rien, à notre grand bonheur. Si une chanson est chantée, elle l’est jusqu’au bout, si un repas est pesant pourquoi uniquement l’évoquer et non pas le faire ressentir ? L’ennui n’est pas un ennemi. Cela nous offre des moments de la vie quotidienne, avec une mise en scène classique et rigoureuse, presque froide. Le montage ajoute un supplément de glaçage sur le gâteau, par sa lenteur. Seules les images colorées offrent un superbe contraste. D’un papier peint kitsch à un mobilier d’époque, ajoutés à ces  plans fixes, géométriques et longs, éclate la forme picturale de l’œuvre. D’un tableau émerge aussi le sens littéraire, comme un roman descriptif, réaliste.

Il n’y a pas que des parallèles avec le réalisateur doublement palmé à Cannes. Non-dits et tension sont le langage et ce sont les chansons qui extériorisent le plus, même si elles reviennent trop souvent. C’est l’un des points sur lequel elle a insisté : cet ancrage de l’œuvre dans la société allemande. On retrouve des moments où, à table, ils parlent de l’impôt, l’influence de la Révolution française sur leur société… C’est un monde en transformation, avec notre regard sur la mort et l’amour ici plus que jamais lié.

Même si Hausner avait rendez-vous avec l’Histoire, celle qu’elle nous raconte n’est pas une histoire d’un temps révolu. Elle se ressent comme une parabole. Que ça soit un sublime poète reconnu ou un imposteur pensant l’être cela ne changerait que très peu. La place historique finalement n’a que peu d’importance, la résonance actuelle est décisive. Amour fou, la folie de l’amour ou un amour débordant. Elle a voulu faire une « comédie romantique », oubliant peut-être le mot dramatique.

C’est ironique, comme plusieurs moments jusqu’à celui fatidique, où la notion de « belle mort » prend du plomb dans l’aile. Cette comédie sur l’amour décrit selon elle, et c’est identifiable, les différentes amours : l’amour égoïste, l’amour altruiste, l’amour par peur… La vision que l’on se fait de notre partenaire, la façon dont on se voit à travers l’autre et ce qu’on aimerait qu’il voie en nous, tant de problèmes liés à cela. L’Homme a peur de la solitude, la maladie actuelle, et aussi de la mort, depuis toujours voit-on. Ainsi cette dualité est une assurance pour certains,  un passage dans l’éternité pour d’autres.

Amour à mort, et amour et mort. Tout est une question d’appréhension de la question et de vision, que ça soit pour l’amour comme pour la mort. Le tabou du suicide et de l’euthanasie dans la société aura finalement toujours été présent. C’est dans cela que l’actualité trouve son plus beau reflet.

Amour fou est un film qui fait preuve, malgré des partis pris volontaires, d’un certain classicisme. Le récent Bright Star de Jane Campion aux nombreuses envolées poétiques laissait place aux sentiments, au lyrisme. En ne voulant pas volontairement creuser la psychologie des personnages, l’ennui trouve refuge dans la beauté esthétique, avec en écho de nombreuses questions sur la vie. Et cette chanson si évocatrice revenant à plusieurs reprises, une fois chantée par la cantatrice, une fois par la mère, une fois par la fille. Le passage de flambeau de ces valeurs et questions, dans la vie comme au cinéma, éternels comme la mort des personnages.

 Clément SIMON

Support vidéo :
Langues Audio :
Sous-titres :
Edition :


Amour fou

Autriche  - 2014

Réalisation : Jessica Hausner

Scénario : Jessica Hausner

Directeur de la photographie Martin Gschlacht

Chef monteur Karina Ressler

Directeur artistique Boris Bartholomäus

Chef décoratrice Katharina Wöppermann

Directrice du casting Ulrike Müller

Costumière Tanja Hausner

Ingénieur du son Uwe Haussig

Mixage Michel Schillings

Monteur son Nicolas Tran Trong

Maquilleur Kerstin Gaecklein

Maquilleur Heiko Schmidt

Consultante Géraldine Bajard Producteur: Martin Gschlacht, Antonin Svoboda, Bruno Wagner, Bady Minck, Alexander Dumreicher-Ivanceanu, Philippe Bober

 

Interprétation:

Birte Schnoeink (Henriette),

Christian Friedel (Heinrich),

Stephan Grossmann (Friedrich Louis Vogel),

Sandra Hüller (Marie),

Holger Handtke (le médecin),

Barbara Schnitzler (la mère),

Alissa Wilms (Dörte),

Paraschiva Dragus (Pauline)

 

Distributeur:

Jour2fête

Durée: 1h36