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affiche Per amor vostro

Per amor vostro

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Un film de Giuseppe Gaudino,
Avec Valeria Golino, , Adriano Giannini, Massimiliano Gallo,

Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h50
Italie

En Bref

Bien qu’ayant dû, lorsqu’elle était enfant, endosser injustement les fautes d’un frère aîné, Anna a jadis été une petite fille courageuse et audacieuse. Aujourd’hui, sa vie à Naples est devenue tellement grise qu’elle ne voit plus les couleurs de la vie. Pour l’amour de sa famille et de ses trois enfants - deux filles et un garçon sourd-muet - elle a laissé son existence s’éteindre lentement et refuse d’ouvrir les yeux sur les activités criminelles d’un mari colérique et violent. A force de ne jamais prendre position, elle s’est peu à peu convaincue qu’elle était une moins que rien.

Cauchemars et visions l’assaillent régulièrement : les nuages noirs qui dévorent les couleurs fugitivement retrouvées lorsqu’elle se penche à la fenêtre de son appartement et regarde la mer en direction du Vésuve, les âmes tourmentées qui hantent le bus qu’elle emprunte pour retourner chez elle, l’eau qui régulièrement l’encercle pour l’étouffer. Sa seule fierté, c’est son travail de « souffleuse » dans un studio de télévision où ses qualités professionnelles sont reconnues et appréciées. Lorsque l’acteur principal d’une série télévisée, le fascinant mais ambigu Michele, commence à la courtiser, elle espère trouver enfin la force de rompre avec ses vieux démons.


Dix-huit ans après Giro di lune tra terra e mare, Giuseppe Gaudino, auteur de nombreux documentaires, grâce à une réunion de producteurs indépendants et à une coproduction française, revient au long métrage de fiction avec Per amor vostro, en compétition à la Mostra de Venise où son film a constitué une agréable surprise.

Quels sont ceux-là qui paraissent plongés si avant dans le deuil ? Cet état misérable est celui des tristes âmes qui vécurent sans infâmie ni louange”. C’est ainsi que Dante dans le chant III de l’Enfer évoque les ignavi (indolents, apathiques), ceux qui, durant leur vie, n’ont jamais osé choisir entre le bien et le mal, se contentant de se conformer à la loi du plus fort. C’est  un voyage au coeur de cette zone grise auquel nous convie Giuseppe Gaudino, en nous contant les émotions et les défis d’Anna à la reconquête de son indépendance  dans une ville de Naples que le réalisateur parcourt, depuis le cimetière des Fontanelle en passant par l’église du Purgatorio, jusqu’aux catacombes de San Gaudisio. Une ville de Naples qui, à l’image d’Anna, feint parfois de ne pas voir la dépravation morale qui l’entoure, mais qui, comme elle, n’hésite pas non plus à s’engager et à lutter contre la camorra et ses complices, une ville  dont elle est aussi la victime, avec ses rites et ses superstitions ancestrales responsables en partie de ses malheurs. Deux scènes en sont emblématiques :  celle, en flash back, de son initiation religieuse où l’obéissance enfantine aux règles du catéchisme trouvera un écho dans la docilité dont elle fait preuve à l’âge adulte, ou cette autre dans laquelle, pour faire plaisir à sa mère, elle se soumet à la coutume en embrassant les reliques de la sainte qui lui a permis de trouver un emploi.

Pour mieux suivre l’itinéraire de la protagoniste mais aussi ses états d’âme, Giuseppe Gaudino a recours à un projet multiforme où s’enchevêtrent plusieurs techniques. Une pellicule en noir et blanc tout d’abord, pour mieux appréhender l’existence dévitalisée de la protagoniste. Un noir et blanc ponctué d’incursions animées et colorées qui, grâce à la technique du digital painting, font accéder le spectateur aux angoisses et au subconscient du personnage. Dans ce film qui navigue continuellement entre les vivants et les morts, le noir et blanc et les couleurs, le rêve et la réalité , la musique joue un rôle fondamental car elle permet de connecter entre eux des éléments disparates. Signée par le groupe Epsilon Indi, elle mélange habilement tradition populaire napolitaine et sonorités électroniques pour accompagner Anna en la décrivant et en commentant son parcours (Anna petite fille, Anna et l’usurier, Les peurs d’Anna, jusqu’à l’aria Lascia ch’io pianga de Haendel), à la manière des cantastorie parténopéens, ces chanteurs ambulants qui, après avoir dressé dans la rue une toile peinte de divers personnages, en racontaient l’épopée. Un rôle musical qui fait aussi penser à celui du choeur antique dans la tragédie grecque où il guide les émotions du spectateur et lui permet de mieux comprendre action et personnages.

D’aucuns pourront trouver que le film de Giuseppe Gaudino souffre d’hypertrophie, accumulant de façon hétéroclite des éléments par trop étrangers pour créer une oeuvre emphatique ou extravagante. Force est pourtant de reconnaître que cette apparente hétérogénéité permet de souligner les moments forts du récit et les états de conscience de la protagoniste. Elle permet aussi de brosser, au-delà de celui d’Anna, le portrait d’une cité dantesque qui, sur deux niveaux - souterrain et aérien - accueille tout et son contraire, une Naples belle et laide à la fois, solaire et sépulcrale, ville baroque par excellence, excessive et ostentatoire.

Ce qui en revanche ne souffre aucune contestation, c’est l’interprétation de Valeria Golino qui incarne magistralement - au sens propre : en chair et en os - une femme d’une humanité absolue avec ses incertitudes et ses tourments, illuminés ça et là de brèves trouées de joie. De retour dans sa ville natale où elle a déjà joué dans deux films qui lui tiennent à coeur – La guerra di Mario de et La kryptonite nella borsa  – elle obtient très justement à Venise un second prix d’interprétation féminine, presque trente ans après celui remporté en 1986 pour Storia d’amore de Citto Maselli, s’affirmant une nouvelle fois comme une des comédiennes italiennes les plus exigeantes d’aujourd’hui.

Alain Claudot, comité de jumelage Reims-Florence

Note du support : n/a
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