Monsieur le maire manque d’idées. Lui, si prolixe autrefois, se retrouve en panne sèche, rien ne vient. La veine de nouvelles perspectives, de nouveaux défis à relever semble tarie. Il faut relancer la machine à penser, la quête d’horizons à conquérir, de nouvelles pousses dans le jardin des mots. On propose à Paul Théraneau une jeune philosophe brillante, Alice Heimann pour redynamiser la machine à idées. C’est ainsi qu’Alice ne tombe pas au pays des merveilles mais dans un immense bureau à la mairie de Lyon. Peu à peu, entre la jeune femme et Monsieur le maire se noue un dialogue plus profond. Pas à pas, on retrouve la veine des jeunes années, productives d’idées en tout genre. Si ces dernières sont encore absentes, la complicité naissante prend de plus en plus de place. Dans la cour qui l’entoure, Alice ferait figure d’éminence grise, cela ne plait pas à tout le monde. Le maire et Alice s’apprivoisent pour conquérir un nouveau terrain des idées. Après Lyon de demain, c’est au Congrès des socialistes que tout se joue pour un futur présidentiable. En cas de victoire (ou d’échec), ils auront gagné bien plus dans cet échange. Ils se rapprocheront de ce Graal qu’il quête depuis si longtemps.
Après Le Grand jeu, une plongée dans les rouages de la rouerie politique, Nicolas Pariser se lance en quête des idées. Alice et le maire balaie plusieurs territoires de la politique, évidents, plus subtils, dissimulés derrière les lignes de front. C’est d’abord la grande machine des institutions et de ses acteurs dans un jeu sans cesse renouvelé, entre sincérité et manipulation. C’est la course au pouvoir pour les courtisans et le retour à la pensée idéologique pour le maire. Le discours semble prendre le large entre les administrés et les élus. La parole est sclérosée, incompréhensible, creusant un vide de plus en plus grand. C’est la montée d’un homme vers les plus hautes responsabilités de l’Etat. Ce jeu subtil se noue au cœur des labyrinthes des bureaux, des manifestations, des enjeux politiques pour une ville. Fabrice Luchini compose un homme politique idéal encore accroché aux valeurs idéologiques. L’acteur et le réalisateur disent ne pas avoir choisi Gérard Collomb comme source d’inspiration. C’est bien un portrait plus subtil, entre Voltaire et Rousseau philosophes des Lumières, d’un homme encore accroché aux illusions perdues. Le final est en ce sens, pour ma part, assez parlant. Pour renouer avec le territoire des idées, on lui choisit une philosophe.
Pour Schopenhauer : « La philosophie naît de notre étonnement au sujet du monde et de notre existence ». Pour Aristote : « C’est à bon droit que la philosophie est appelée science de la vérité ». Il s’agit donc de porter un regard nouveau sur le monde et la société, lui proposer des futurs prometteurs. C’est sur le territoire des idées que se joue la politique de demain. C’est une idée toute simple, oubliée aujourd’hui par une grande majorité d’hommes politiques accrochés à l’opportunité, au pouvoir ou à l’économie. C’est un autre homme que propose Nicolas Pariser, presque une utopie de la figure politique idéale. Son maire est un homme en quête d’idées pour donner un nouvel élan à sa ville. Il pense au bonheur de ses citoyens et à des perspectives nouvelles pour demain.
Dans cet esprit, les idées ne se bousculent plus à la porte. C’est donc en philosophant avec Alice qu’il reprend la route. Une idée, ce n’est pas grand-chose, pas facile à définir ni à saisir. Cela s’emporte, s’emballe, trimbale sa drôle d’attitude persévérante, ignorante, changeante. C’est donc cet espace indéfinissable qui bouscule nos esprits que cherchent comme un trésor Alice et le maire. Le film repose sur les dialogues savoureux et subtils que manient avec adresse les deux acteurs. Dans le paysage actuel, la philosophie, la « chose publique » semblent avoir déserté la caboche d’une majorité d’hommes politiques. C’est sur le fond que creusent Alice et le maire. À la fin, ils auront redécouvert le goût des premiers jours, même s’ils n’ont pas changé le monde. Alice et le maire est une jolie fable, portrait de l’idéal politique que nous aimerions voir plus souvent dans la réalité.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Alice et le Maire
Réalisation et scénario : Nicolas Pariser
Assistantes-réalisatrices : Valérie Roucher, Christelle Lahaye, Vanda Braems
Décors : Wouter Zoon
Costumes : Anne-Sophie Gledhill
Directeur de la photographie : Sébastien Buchmann
Montage : Christel Dewynter
Son : Daniel Sobrino
Montage son : Jérémy Hassid
Étalonnage : Raphaëlle Dufosset
Musique : Benjamin Esdraffo
Producteur : Emmanuel Agneray
Directeur de production : Sébastien Autret
Production : Bizibi, Arte France Cinéma, Les Films du 10 et Scope Pictures
Distribution : BAC Films (France et ventes internationales)
Budget : 4,9 millions d'euros
Pays d'origine : Drapeau de la France France
Langue de tournage : français
Genre : comédie dramatique
Durée : 103 minutes
Dates de sortie : 18 mai 2019 (Festival de Cannes - Quinzaine des réalisateurs) 2 octobre 2019
Distribution
Fabrice Luchini : Paul Théraneau, le maire de Lyon
Anaïs Demoustier : Alice Heimann
Nora Hamzawi : Mélinda
Léonie Simaga : Isabelle Leinsdorf
Antoine Reinartz : Daniel
Maud Wyler : Delphine Bénard
Alexandre Steiger : Gauthier
Pascal Rénéric : Xavier
Thomas Rortais : Pierre
Thomas Chabrol : Patrick Brac
Michel Valls : Philippe Paquet
Claire Galopin : la secrétaire du maire
Manon Kneusé : Claire
Lucie Gallo : Marie
Pierre Desmaret : le maire du 4e
Gwenaëlle Simon : Armelle
Pierre-Benoist Varoclier : Le meneur de débat
Récompenses
Festival de Cannes 2019 : Label Europa Cinemas de la Quinzaine des réalisateurs9
César 2020 : Meilleure actrice - Anaïs Demoustier
Nominations
Prix Lumières 2020 :
Nomination au Prix Lumières du meilleur acteur - Fabrice Luchini
Nomination au Prix Lumières de la meilleure actrice - Anaïs Demoustier
Nomination au Prix Lumière du meilleur scénario - Nicolas Pariser
Globes de Cristal 2020 : Nomination au Globes de Cristal de la meilleure actrice - Anaïs Demoustier