Chaque année, à la Closerie des Lilas, haut lieu de la culture parisienne depuis 1860, se réunit une bande de vieillards ayant fait les beaux jours de la culture. Ils remplacent les Renoir, Monet et Sisley, Pissarro des débuts, plus connus sous le nom d’Impressionnistes. On y rencontrait aussi Émile Zola, Paul Cézanne, Théophile Gautier, Charles Baudelaire et les frères Jules et Edmond de Goncourt. Aujourd’hui, d’autres figures se retrouvent autour d’un pot-au-feu, un écrivain, un sculpteur, un chanteur, un philosophe, un directeur de théâtre, un acteur financier de la culture. Ils invitent un de leurs pairs à les rejoindre et reconduisent chaque année le mécénat à Yoshi. Ce dernier est l’excellence même de l’artiste, le plus fainéant, celui qui n’a jamais rien fait, l’art avant l’art. « Yoshi n’a rien fait de ses talents, c’est là toute sa gloire ». Cette année, une petite erreur et beaucoup au compteur des vieux lanterniers risquent de bousculer le protocole.
« Le mouvement immobile, c’est la plus belle plénitude »
Pour son quatrième long métrage, Édouard Baer continue son exploration de l’âme humaine. Comme il le dit lui-même, c’est la franche camaraderie de ces repas particuliers qui l’intéresse. Même si on rit beaucoup, le ton est plus à la nostalgie et au temps qui passe. Il réunit une pléiade de talents autour d’une variation sur le pot-au-feu, les abattoirs, et quelques autres faits de société. C’est d’abord une galerie de personnages hauts en couleur, comme lui seul sait les croquer. Au fur et à mesure des films et des pièces de théâtre, il construit sa propre comédie humaine du vingt et unième siècle. Dans ce huis-clos de la table on trouve le patron du restaurant, dernier rôle de Jean-François Stévenin, qui se voit plus comme une pièce rapportée qu’invité de marque. L’acteur à la parole éclatante, Pierre Arditi, est toujours prompt à remettre les choses en cause.
L’artiste moderne aux sculptures improbables est le roi du mikado, François Damiens. Daniel Prévost, artiste en fin de carrière, a la parole pesée. Bernard Le Coq, chanteur à belle gueule et à l’unique succès, lorgne sur la petite serveuse. Bernard Murat, le carnet de chèques, est un haut responsable de la culture. Benoît Poelvoorde, dans son propre rôle, représente l’invité recalé à cause d’une de ses frasques, que nous ne connaitrons pas. Tous ces personnages échangent sur le monde, l’art, la vie, la mort et l’amour, comme dans les films de Claude Lelouch. On s’engueule, se déchire, s’embrasse et tout recommence. À cette galerie haute en couleur, il faut rajouter deux figures en demi-teintes, apportant un ton plus sombre que d’habitude. Gérard Depardieu en maitre de cérémonie fatigué, refuse son dernier tour de piste. « Vieillir c’est le plaisir de radoter », dira son personnage. Jackie Berroyer est remarquable en philosophe à la mémoire qui flanche.
« Pianiste de bar, le plus beau métier du monde, ça donne de l’élégance à l’ennui. » On découvre une belle réflexion sur les pianistes de bar (due à Françoise Sagan). Le rôle est tenu par Gérard Daguerre. Yoshi Oida, écrivain, acteur, metteur en scène officie dans son propre rôle. Il est l’auteur de L’acteur invisible et de L’acteur rusé, peut-être en partie sources d’inspiration du film. Qu’est-ce que la parole ? .Que peut-on dire aujourd’hui ? Qu’est-ce que l’artiste en fin de carrière à la gloire éphémère ? Les mots auront grande importance, comme toujours chez notre trublion, Édouard Baer. Il en ressort que ces êtres extraordinaires, maîtres de la scène, dans les coulisses nous ressemblent beaucoup. En toile de fond se détache un regard sur la nostalgie du temps qui passe et la dernière porte de plus en plus proche. Ils ne sont pas loin, pour certains, du dernier tour de piste. Une fois de plus, avec Adieu Paris, Édouard Baer, dans l’esprit des philosophes cyniques, comme Diogène le chien, nous bouscule. Il nous force à réfléchir sur nous-mêmes à travers ses personnages célèbres.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Adieu Paris
Réalisation : Édouard Baer
Scénario : Édouard Baer et Marcia Romano
Photographie : Alexis Kavyrchine
Décors : Emmanuel de Chauvigny
Costumes : Caroline Spieth
Montage : Fabrice Rouaud
Musique : Gérard Daguerre
Son : Olivier Mauvezin, Jules Laurin, Mathieu Gasnier, Stéphane Thiébaut
Sociétés de production : Artémis Productions - Cinéfrance Studios - Les Productions en cabine
Société de distribution : Le Pacte
Pays de production : France
Langue originale : français
Format : couleur — 1,85:1 — son 5.1
Genre : comédie
Durée : 96 minutes
Dates de sortie : 10 octobre 2021 (Festival Lumière, Lyon) 26 janvier 2022
Distribution
Pierre Arditi : Jacques
Benoît Poelvoorde : Benoît
François Damiens : Louki
Bernard Le Coq : Enzo
Bernard Murat : Pierre-Henry
Isabelle Nanty : Isabelle
Léa Drucker : l'auxiliaire de vie d'Alain
Gérard Depardieu : Michael
Ludivine Sagnier : fille de Michael
Daniel Prévost : Bertrand
Jean-François Stévenin : Jeff
Jackie Berroyer : Alain
Yoshi Oida : Yoshi
Gérard Daguerre : le pianiste
Édouard Baer : Édouard
Sigrid Bouaziz
Christophe Meynet