Avant Première Gaumont Millésime Thillois vendredi 4 octobre à 20h15
Elle s’appelle Ariane Felder, 40 ans. Elle est juge d’instruction, célibataire et sans enfant. C’est une blague ? Non je suis une femme intelligente, vous répond l’accusée. Elle est consciencieuse, et s’acquitte de sa tâche avec sérieux et perspicacité. N’allez pas lui faire croire que les gnons de votre femme relèvent du savon et d’un accident de lavabo. Pourtant, le dernier réveillon marque un changement dans la vie de madame la juge. Nous avons tous nos petites faiblesses et après une soirée entre collègues bien arrosée, une sortie du tribunal titubante et hagarde, notre damoiselle commet un acte irréfléchi qui lui coûte cher.
Quelques mois plus tard, surprise, elle gagne un petit cadeau du ciel pour certains et un squatter pour neuf mois pour elle. Alors qu’une belle promotion se profilait à l’horizon, patatras, tout risque d’aller à vau-l’eau ! La quête du père est lancée et lorsque, bingo !, à la galerie des preuves le couperet tombe, ce n’est pas joli, joli Mademoiselle ! L’horrible géniteur est un criminel de la pire espèce « globophage », sans scrupules, prince de la pince monseigneur et des coffres de particulier. La belle est dans la panade, d’autant qu’il s’échappe et souhaite qu’elle réexamine sa condamnation. Allons bon, mon brave monsieur, il serait innocent ! Il faut bien trouver une solution si elle veut que la bête quitte son gîte mais laquelle ? Le morveux squatteur ou le brigand pas gentilhomme ? Il faut peut-être tout simplement accepter son destin.
Albert Dupontel donne le ton dès le début avec une justice aveugle, qu’il agrémente d’un nez de clown et de cotillons. Cette première séquence résume toute la force du film, à la fois folie, BD, Tex Avery du XXe siècle, Monty Python, Terry Gilliam, le cinéma muet comique, plus anarchie que punk. Ce mélange et ses influences forment la touche particulière du réalisateur. Le petit scarabée, le jeune Jedi est devenu un maître et avec ce dernier opus, il le prouve. Derrière la comédie à l’humour noir et grinçant, se cache une réflexion plus poussée sur la justice et son rôle. Une thématique qu’il affectionne tout particulièrement puisque nous la retrouvons dans Bernie, enfermé dehors de façon évidente, Vilain, voire dans Le créateur. La fin d’ailleurs peut se voir comme une belle métaphore de la justice accouchant, mais de quoi ? Tout au long du film, il pose la question du principe d’une justice égalitaire, juste, étayée par des dossiers et non par l’apparence. Cette dernière revient avec les affaires que juge notre jeune femme, le « ce n’est pas ma faute, elle a glissé sur le savon », dit un prévenu.
Bob, criminel au passé lourd, maitre de la cambriole, ne peut qu’être coupable d’un acte innommable et horrible. La justice ne cherche pas les preuves, mais le moyen de prouver qu’elle a raison. Face à cette justice aveugle, à l'emporte-pièce, la jeune Ariane nous rappelle son vrai rôle. Nous passerons la métaphore du bien, enfanter par le mal, elle, l’innocente s’éclate, même par erreur, avec un salopard de la pire espèce. C’est la rencontre de l’ange et du démon, du bien, la justice représentée par la juge et du mal pour Bob. Elle nous renvoie à l’image d’un monde gris et non noir et blanc. De plus, l’un comme l’autre finiront par changer. L’autre thématique chère au réalisateur est la quête de l’origine, qui suis-je, d’où viens-je et où vais-je, semble parcourir les films de Dupontel comme une récurrence. Peut-être plus que la question des origines, c’est ce qu’elles font de nous. Nous ne savons que peu de chose des origines de Bob, comme de celles d’Ariane. Par contre, nous savons tout de celles de leur enfant. La figure de la mère est aussi un personnage qui revient souvent, si le père est parfois absent, elle reste toujours présente. Il en fera une des thématiques de Vilain. L’image de la femme serait aussi une thématique intéressante à creuser dans son œuvre.
Il donne au personnage de Sandrine Kiberlain la possibilité de dévoiler toute sa facette comique. Depuis peu, elle quitte les rôles plus sérieux pour oser la folie comme ici ou dans Tip Top, deux sommets de sa palette. Elle porte une partie du film sur ses épaules avec son air aérien, personnage de clown blanc face à Dupontel, l’Auguste. Loin de la comédie formatée et franchouillarde de ces derniers temps, il déconstruit le genre pour piller, nous l’avons vu, les Anglo-Saxons, mais aussi Tati, Etaix et bien d’autres. Le tout est servi par une cinéphilie, apanage des grands réalisateurs, des clins d’œil à La nuit du chasseur, Le silence des agneaux et bien d’autres… De nombreuses scènes cultes, l’ouverture, la fête au palais, la juge face au mari violent, l’autopsie, sommet d’un cinéma de l’absurde porté par Keaton et Charlot, l’explication de l’agression, accident du vieillard.
Il joue même avec les images comme la séquence où, dans le PC de surveillance, Sandrine Kiberlain cherche celui qui l’a engrossée. Images du PC, de caméras de surveillance, le tout commenté par un Bouli Lanners en pleine forme. Et la fin avec ces deux parents penchés sur le berceau relèverait du conte. Les dialogues sont affinés au plus juste, s’amusent des thématiques, la grossesse vue comme un propriétaire indélicat, la confrontation avec le premier père, vite rejeté, la première rencontre. Les mots comme les images se tortillent, s’amusent du double sens, s’envolent, redeviennent délicats, tendresse, détresse, colère, amour et espoir. Dupontel, toujours hors des sentiers battus, réussit une comédie atypique qui devrait réconcilier tous les publics.
Patrick Van Langhenhoven