« Le hasard est plus grand que toi. » Marabout
Qu’est-ce qui peut bien lier la disparition d’une femme en plein cœur des Causses avec l’Afrique ensoleillée ?
C’est en Afrique que le hasard farceur et taquin prend naissance dans les quartiers de misère, croulant sous le soleil d’Abidjan. C’est ici que l’on rêve à un avenir meilleur. Il s’envole pour les causses, terres de montagne et de forêt aux paysages contrastés. Il envahit ce plateau aux quelques fermes isolées avec ces habitants oubliés du monde rêvant d’amour et d’un avenir meilleur. C’est le regard d’Alice Farange, assistante sociale mariée à Michel, parcourant le plateau pour soulager la peine des agriculteurs et des bergers. Michel Farange, homme rude et secret, reprend la ferme de son beau-père. Joseph Bonnefille, berger marginal, dépressif, cache un lourd secret. Évelyne Ducat, 49 ans, la disparue est mariée à Guillaume. Marion, jeune serveuse, est une amoureuse passionnée. Elle est prête à tout quitter pour rejoindre l’objet de sa flamme au cœur des Causses. Sur l’autre continent, Armand, faroteur, magouilleur, est prêt à n’importe quelle arnaque pour s’en sortir. Il n’hésite pas, pour faire pencher la balance, à invoquer les esprits. Monique, jeune Africaine, est entretenue par son Blanc qui le fera venir bientôt en France. Les pièces de cette partie d’échecs mêlant sentiments et profit sont en place. Le hasard peut jeter les dés et mélanger les pièces du puzzle de l’existence.
« L’amour c’est donner ce que l’on n’a pas. Es-tu prêt à donner ce que tu n’as pas ? » Marabout.
Dominik Moll explore de nouveau les rapports que tissent les personnages, les liens qu’ils construisent finissant par se dérégler dans la grande marmite de la vie remuée par le hasard. Il évoque déjà cette trame dans ses précédents films, Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming, Le Moine, Des nouvelles de la planète Mars. À chaque fois le hasard se glisse dans la valse de l’existence avec un soupçon de fantasmagorie, d’extraordinaire, d’un monde empruntant les sentiers de traverse. Le film s’ouvre sur le soleil, les couleurs et la vie bruyante d’Abidjan. Elles se ternissent, deviennent hiver, blanc de la neige, brun de la terre, bois, animaux scrutant le monde des hommes. Elles nous ramènent aux origines des hommes quand l’âme était encore vierge de tout. C’est le point de départ d’un bon policier, une route sur le plateau, droite, filant épouser l’horizon. Une voiture abandonnée, une femme, la conductrice disparue. Elle n’est pas d’ici, Parisienne venue se perdre dans le silence. Jusqu’ici le spectateur est en terrain connu.
Cédric le gendarme tente de garder le fil de cette toile d’Ariane. Plus il cherche et plus il sait que la raison est déraisonnable et n’a pas de sens. Il ne lui reste plus qu’à jouer le jeu des pistes multiples et sinueuses qui le conduiront au coupable. La même histoire déroule son tapis du point de vue d’Alice, de Michel, de Joseph, semblant n’avoir aucun rapport avec la morte. Ce triangle des Bermudes des paumés du petit matin, le cœur à l’envers, prêts à s’emporter pour un amour ineffable, imaginaire. Petite fille perdue sur le net rencontre un paysan en quête d’une belle romance. Femme au cœur nu se perd dans les bras d’un berger marginal. Quant à ce dernier, c’est au mort qu’il donne son cœur. Chacun joue la danse de la vie dans sa quête de bonheur, l’argent, la mort, la trahison ne comptent pas.
Ailleurs se joue une autre histoire de l’âme, une jeune innocente lâche tout pour les beaux yeux d’une belle. Pour quelques jours de promesses, de mensonges ou de vérités, elle croit à l’impossible tendresse. Tout est en place pour que le hasard vienne se glisser dans la trame ordinaire de la vie. Le point de vue de Marion remplit quelques cases vides ouvrant d’autres pistes. Le regard d’Armand, le jeune Africain finit par nous perdre dans les fils de la toile. On cherche un sens au monde sous le regard des animaux silencieux qui eux, savent qu’il n’existe pas. Tout se met en place pour nous livrer le puzzle final où chaque morceau s’emboite parfaitement. Au final, à la place de la vengeance, nous préférons nous accrocher à nos chimères. Il faut saluer la partition des acteurs sans fausse note pour une nouvelle symphonie des sens composée avec brio par Dominik Moll.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Seules les bêtes
Réalisation : Dominik Moll
Scénario : Dominik Moll et Gilles Marchand, d'après l'œuvre de Colin Niel.
Décors : Emmanuelle Duplay
Costumes : Virginie Montel et Isabelle Pannetier
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Montage : Laurent Roüan
Musique : Benedikt Schiefer
Producteur : Simon Arnal-Szlovak, Carline Benjo, Barbara Letellier et Carole Scotta
Coproducteur : Gerhard Meixner et Roman Paul
Société de production : Haut et Court et France 3 Cinéma
Société de distribution : The Match Factory et Haut et Court
Pays d'origine : France et Allemagne
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : Thriller dramatique
Durée : 117 minutes
Dates de sortie : 4 décembre 2019
Distribution
Denis Ménochet : Michel Farange
Laure Calamy : Alice Farange
Valeria Bruni Tedeschi : Evelyne Ducat
Damien Bonnard : Joseph Bonnefille
Bastien Bouillon : Cédric Vigier
Guy Roger N'drin : Armand
Nadia Tereszkiewicz : Marion
Marie Victorie Amie : Brigitte
Fred Ulysse : le père d'Alice
Colin Niel : le vendeur de la coopérative
Distinctions
Festival international du film de Tokyo 2019 : prix de la meilleure actrice pour Nadia Tereszkiewicz et prix du public
Sélections
Mostra de Venise 2019 : sélection en section Giornate degli Autori
Festival international du film de La Roche-sur-Yon 2019 : sélection en compétition internationale
Festival du cinéma méditerranéen de Montpellier 2019 : film de clôture