La ville a sans doute connu des heures de gloire autrefois quand les métiers à tisser claquaient dans cette ville, d’envergure mondiale grâce au textile jusqu’au milieu du XXe siècle. Aujourd’hui, le commissaire Daoud traque le mal et soigne au passage les âmes. Flic clairvoyant, il éprouve le poids de votre innocence ou votre culpabilité. Il connaît Roubaix depuis son enfance. Chaque lieu lui raconte une histoire, mélange d’hier et d’aujourd’hui, lumière d’hier et noirceur d’aujourd’hui. Il l’aime comme une femme précieuse aux secrets bien cachés qui sait se dévoiler dans la lumière de l’âme. Il tente de la protéger des petits trafics minables, fraude à l’assurance, maison brûlée, cambriolages, violeur du métro, dealers, et crimes sournois. Flic charismatique, miséricordieux, silencieux, il sonde le cœur des coupables pour percer à jour leur âme. Loin de la violence et de la rage, il tente de comprendre l’humain entre lumière et ténèbres. Un jeune lieutenant apprendra beaucoup au côté de cet homme qui ne juge plus un monde au bord du chaos. Un crime sordide, la mort d’une vieille femme pour trois fois rien, remue l’âme du petit lieutenant catholique. Au bout du chemin, il nous reste la noirceur du monde ou la lumière de l’espérance.
Arnaud Desplechin s’inspire d’un fait divers réel et d’un documentaire de Mosco Boucault, Roubaix, commissariat central, affaires courantes. On y voit deux jeunes femmes avouant le crime sordide d’une vieille femme, Lucette, pour une télé, quelques produits d’entretien et une boîte de nourriture pour chiens. Sur cette base, le réalisateur construit un polar social qui explore l’âme d’une ville et de ses âmes perdues. Nous n’avons aucune haine, malgré la bêtise humaine, l’horreur pour ces deux filles perdues. Il démonte le meurtre dans une seconde partie, confrontation d’un flic habitué au pire et de deux criminelles inconscientes. Cela n’enlève rien à la noirceur et la stupidité des faits. Dans un premier temps, nous découvrons Roubaix stigmatisée comme la ville la plus pauvre de France. 75 % de la commune est classée en zone urbaine sensible et 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.
Ce qui nous frappe, c’est l’abandon des pouvoirs publics aux portes d’un troisième millénaire qui s’annonçait plus prometteur. Le titre porte déjà en lui bien des questions : Roubaix, lumière d’hier, ville florissante, aujourd’hui abandonnée. C’est peut-être la lumière des rues sombres que le réalisateur éclaire dans une atmosphère de cinéma fantastique. C’est peut-être la lumière de l’âme que traque le commissaire Daoud comme une graine d’espérance. Cela nous ramène à la métaphysique du monde et de l’âme, chère au réalisateur. Le film doit beaucoup à la direction d’acteurs et l’interprétation sans faille du duo Léa Seydoux et Sara Forestier, impressionnantes. Nous apprécions particulièrement la confrontation et l’aveu final, plaçant les deux jeunes femmes face à l’horreur et la réalité de leurs actes.
Roschdy Zem nous offre un rôle tout en finesse jouant sur le poids du regard, la force de quelques mots donnant un résultat impressionnant. Il amène à l’aveu dans un chemin d’éveil et de libération, avec la culpabilité prenant toute sa mesure profonde. Après les milieux bourgeois de son enfance, c’est les ghettos perdus qu’explore Arnaud Desplechin dans une mise en scène revendiquant l’influence d’Alfred d’Hitchcock dans Le Faux Coupable. Il nous rappelle un roman de Georges Simenon, Frédéric Dard, ou un film de Jean-Pierre Melville. Il arpente le territoire de la culpabilité et de la pitié dans un polar social fort, entre la réalité et la fiction, sous le sceau de la compassion.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Roubaix, une lumière
Titre international : Oh Mercy!
Réalisation : Arnaud Desplechin
Scénario : Arnaud Desplechin et Léa Mysius
Direction de la photographie : Irina Lubtchansky
Son : Nicolas Cantin
Montage : Laurence Briaud
Décors : Toma Baquéni, Sylvain Malbrant, Stéphane Thiébaut
Costumes : Nathalie Raoul
Musique originale : Grégoire Hetzel
Producteurs : Pascal Caucheteux et Olivier Père
Sociétés de production : Why Not Productions, France 2 Cinéma et Wild Bunch
Distribution : Le Pacte (France)
Genres : drame, policier, thriller
Durée : 119 minutes
Dates de sortie : 22 mai 2019 (Festival de Cannes) ; 21 août 2019 (sortie nationale)
Distribution
Roschdy Zem : commissaire Daoud
Léa Seydoux : Claude
Sara Forestier : Marie
Antoine Reinartz : Louis Cotterelle
Chloé Simoneau : Judith
Betty Cartoux : De Kayser
Jérémy Brunet : Aubin
Stéphane Duquenoy : Benoit
Philippe Duquesne : Dos Santos
Anthony Salomone : Kovalski
Ilyes Bensalem : Farid
Abdelatif Sedegui : M. Hami, le père
Sylvie Moreaux : Mme Duhamel, la mère
Diya Chalaoui : Fatia Belkacem
Bouzid Bouhdida : Alaouane
Maïssa Taleb : Soufia Duhame-Hami