En attendant ceux de Naomi Kawase et de Takashi Miike, deux films japonais présentés à Cannes cette année sont déjà sortis sur grand écran au début de l’automne. Après le sublime Vers l’autre rive de Kyoshi Kurosawa, Kore-Eda dresse le portrait de trois sœurs dans Notre petite sœur. Le réalisateur de Nobody knows ou encore Still walking continue ses chroniques familiales, sur la recomposition des liens, dans des univers souvent déconstruits mais remplis d’amour et de bonne volonté. Trois sœurs, fortes et indépendantes, vivent dans la maison de leur enfance.
La mère, partie il y a quatorze ans, ne supportait pas l’adultère de son mari, charmeur éternel, qui quitta à son tour le domicile pour aller vivre avec sa nouvelle compagne à la campagne. Son décès permet la rencontre entre ces trois sœurs et cette fillette de quinze ans qui leur était inconnue. Cette dernière fait le choix de venir habiter dans ce lieu déserté par son père, avec le fardeau d’être « la fille de celle qui a détruit votre famille ». À l’image de ses autres films, le noyau narratif paraît assez simple et mince. Malgré cela, le style du réalisateur et sa façon frontale, et surtout pas agressive, de traiter le sujet apporte une épaisseur au récit et un regard sentimental et doux à cette adaptation du manga Kamakura Diary.
Il serait intéressant de savoir si la réciproque est vraie. Peut-être que dans notre vision française, le cinéma japonais semble réunir souvent les mêmes problématiques dans ses films d’auteur contemporains. La mort et l’absence étaient plus qu’une évocation dans le sublime Vers l’autre rive, où les défunts étaient conviés avec une infinie délicatesse à revenir une dernière fois. Ils sont encore une fois l’ombre planant sur les protagonistes. Dans un registre plus réaliste, les funérailles de cet homme, lointain pour les trois sœurs, laissent émerger une nouvelle figure : Suzu, leur demi-sœur. Sur le quai de la gare, dans un élan romancé, elle accepte de les suivre. L’entente et la générosité mutuelle aboutit à un déménagement de la fille de la maîtresse de leur père, de la femme qui a brisé le foyer. Sans rancune ? Le scénario part à nouveau sur un point un peu poussé, comme ce fut notamment le cas pour son précédent Tel père, tel fils et l’inversion des enfants à la naissance.
La féminité dans Notre petite sœur va de pair avec cette tendresse omniprésente. Le réalisateur place au centre de son film ces femmes et appuie les caractéristiques de chacune, sensiblement différentes, mais avec les mêmes valeurs et éducation. Alors même qu’elles ne sont que sœurs, l’impression d’une hiérarchie entre les trois et leurs caractères ressort - avec la figure maternelle, adolescente et enfantine. Le père quitte la vie en même temps que l’homme « disparaît » du film. Sa place n’est qu’en complément de ces femmes, l’une des clés dans leur bonheur. Les hommes sont le socle de l’émancipation, du passage du passé à l’avenir, l’un des vrais intérêts du réalisateur (présent largement dans son magnifique Nobody Knows en 2004). Suzu, dans cette réunion impossible et précipitée à un point important de leur vie, rappelle le souvenir de leur père, une incarnation féminine de lui. Elle va être amenée à accomplir ce rite initiatique avec ses demi-sœurs, qu’est la vie et sa découverte. À l’inverse de ces femmes, naturelles et pétillantes, la petite sœur, l’enfant Suzu, s’exprime peu, à la façon des jumeaux de Tel père, tel fils. L’enfance en chacune est questionnée, avec son lot de désillusions et d’espérances. Où est-elle en chacune de ces jeunes adultes ? La sœur aînée, maternelle et sévère, reproduit ce qu’elle dénonçait, l’autre ne semble pas quitter cette période…
Dans une scène sublime, l’aînée amène la nouvelle venue sur le lieu où le père les emmenait quand elles étaient plus jeunes, où il se ressourçait. Le paysage ressemble étrangement à celui du début du film, où le père s’était rendu pour entamer sa nouvelle vie. Ce père absent n’a pas tant changé que ça. La plus vieille crie « Papa est un imbécile ! » et l’autre lui répond « Maman est une imbécile ! ». Le champ-contrechamp éclaire ces visages, ces points de vue sur l’histoire, dont ne subsistent que les souvenirs et les légendes. Certaines sont bavardes, d’autres silencieuses, mais elles subissent toutes le poids du passé. Dans ces bonheurs quotidiens à l’écran, la place du souvenir, incarné notamment par cette patronne du bar, lien entre les générations, n’est pas négligeable : c’est ce qui nous façonne. « Quel sera ton dernier souvenir ? ». L’écho est puissant lorsqu’elle, l’aînée, retrouve sa mère quatorze ans après, comme un pardon.
Kore-Eda n’appuie peut-être pas assez sur le nœud narratif : dans Notre petite sœur, tout est beau et propre, sans oscillation véritable ni noirceur. Le réalisateur épure les sentiments de tout superflu, quitte à les rendre presque mièvres, et énonce explicitement ses volontés entre ses envolées poétiques. Mais il filme la vie au Japon, les moments cruciaux dans la construction des identités pourtant dans un pur quotidien classique. Nous sommes tous ces enfants, devant faire avec le passé pour devenir l’adulte que nous sommes déjà. C’est un rite initiatique pour ces filles, une ode à l’épicurisme. L’espérance du film : la vie, même si elle comporte son lot de difficultés, passe par ces plaisirs ubiquistes : culinaires - où le repas apparaît comme sacré et central -, esthétiques - le cerisier et le discours sur la beauté, « encore ému par la beauté, là où il y en avait » - et festifs - l’alcool comme échappatoire. Nous pouvons jouir d’un film réussi et simple, aigre comme la vie et ses doux plaisirs.
Clément SIMON
Réalisateur : Hirokazu Koreeda
Scénariste Hirokazu Koreeda
D'après l'oeuvre de Akimi Yoshida
Compositeur Yoko Kanno
Productrice Kaoru Matsuzaki,Hijiri Taguchi
Producteur exécutif Makoto Omura
Producteur exécutif Shinichiro Tsuzuki
Producteur exécutif Minami Ichikawa
Producteur exécutif Tom Yoda
Producteur exécutif Ogawa Yasushi
Producteur exécutif Taichi Ueda
Producteur exécutif Satomi Odake
Producteur associé Megumi Nishihara
Equipe technique
Directeur de la photographie Takimoto Mikiya
Chef monteur Hirokazu Koreeda
Chef décoratrice Keiko Mitsumatsu
Chef costumier Ito Sacico
Ingénieur du son Yutaka Tsurumaki
Superviseur des effets spéciaux Sayuki Sakamoto
Distribution
Attachée de presse Matilde Incerti
Attaché de presse Jérémie Charrier
Sociétés
Production Artist Film Inc.
Exportation/Distribution internationale Wild Bunch
Distributeur France (Sortie en salle) Le Pacte
Distribution
Haruka Ayase : Sachi
Masami Nagasawa : Yoshino
Kaho : Chika
Suzu Hirose : Suzu
Ryō Kase : Minami Sakashita
Ryōhei Suzuki : Yasuyuki Inoue
Takafumi Ikeda : Hamada
Kentarō Sakaguchi : Tomoaki Fujii
Ōshirō Maeda : Fūta Ozaki
Kirin Kiki :
Lily Franky : Sen'ichi Fukuda
Jun Fubuki : Sachiko Ninomiya
Shin'ichi Tsutsumi : Dr. Kazuya Shiina
Shinobu Ōtake : Miya Sasaki