Présenté dans la section Un Certain Regard en mai dernier à Cannes et non en sélection officielle, ce qui est déjà une sorte de camouflet pour sa réalisatrice, Les salauds divise. "Cauchemar envoûtant" pour Les Inrockuptibles, "Film confus et antipathique" pour Le Monde, la nouvelle réalisation de Claire Denis fait débat mais semble, comme toujours, source de fascination.
Dix ans après Vendredi soir, elle y dirige une nouvelle fois Vincent Lindon, face ici à la décevante Chiara Mastroianni. Inspirée par le film japonais Les Salauds dorment en paix d'Akira Kurosawa, Claire Denis a souhaité développer le même type de personnage dans son long-métrage : "Je suis partie de là, d'un homme solide et sûr comme Toshiro Mifune, qui dans cette série de films noirs de Kurosawa est à la fois le héros et la victime, en tout cas le jouet de forces qu'il ne maîtrise pas, qu'il ne comprend pas. Vincent Lindon a accepté d’être ce personnage".
L'histoire ? Comme souvent, elle n'est que prétexte chez Claire Denis. Un père (Laurent Grévill) se suicide, sa fille (Lola Créton), exsangue, déambule nue, de nuit, le vagin sanguinolent ; la mère (Julie Bataille) en appelle à son frère Marco (Vincent Lindon), commandant sur un supertanker, qui revient à Paris pour aider sa sœur dépressive. Elle est convaincue qu'un seul homme est à la source de tous ses problèmes, y compris la faillite de l’entreprise familiale, Edouard Laporte, homme riche et renommé. Marco s'installe alors dans son immeuble, où il fait la connaissance de sa femme... Au-delà de ce synopsis, c'est davantage un film d'ambiance, sombre et oppressant, que souhaiterait nous livrer la cinéaste. Elliptique, le film ne montre que des séquences brutes. Des scènes concentrées de tensions souvent sexuelles et brutales. L’atmosphère polar est rythmée par la musique du groupe Tindersticks, avec lequel Claire Denis a déjà collaboré au cours de sa carrière, mais ici son omniprésence semble camoufler un échec scénaristique et la confusion du montage.
Un film désagréable, donc. Autant par ce qu'il montre, ou plus exactement, ce qu'il suggère, que par une nette propension, de la part de Claire Denis et de son coscénariste, Jean-Pol Fargeau, à égarer sans cesse le spectateur. Elle n’explique rien. Ne justifie rien. Qui sont ces personnages ? Quelles sont leurs motivations ? Comment réfléchissent-ils ? Claire Denis le reconnaît d'ailleurs dans une longue interview accordée aux Cahiers du cinéma (numéro de juillet-août) : elle-même ne comprend pas très bien ses personnages d'un point de vue psychologique... A trop vouloir suggérer, à sous-entendre même qu'il y aurait de l'amour dans cette fange, le film à la fois se perd et gagne en ambiguïté. Car au fur et à mesure, on se détache du thriller original. Qui sont les victimes ? Qui sont les bourreaux ? Qui s’en soucie ? Entre une pittoresque bande mafieuse et un salaud millionnaire aux mœurs nauséabondes (Michel Subor), jusqu’à cette séquence finale sous forme de vidéo (était-elle bien utile ?), on s’est perdu dans une narration à la complexité superflue.
Gregory Germanais