La nuit venue dans un quartier de la ville de Mashhad sur la place, des filles fardées vendent leur corps. Dans la ville sainte, non loin du tombeau de Reza, la mort rôde et emporte ces âmes qui essayent de survivre dans un monde qui les renie. L’Araignée, surnom du tueur, mène une croisade sans pitié au nom de Dieu. La liste s’allonge sans que personne ne s’inquiète de ces jeunes femmes conduites à l’extrême. Rahimi, journaliste à Téhéran, est bien la seule qui se lance dans une quête pour arrêter le carnage. Elle se confronte à une société machiste et patriarcale qui se fout bien de ces ombres cueillies par la mort. Elle deviendrait même gênante dans sa quête de justice et de vérité. Pendant ce temps, l’Araignée tisse sa toile et rôde sur sa mobylette. Il continue son carnage sans crainte. Peu à peu, l’étau se resserre et aboutit à une arrestation, mais la justice semble ne pas avoir le dernier mot. Quand la foule applaudit sans se demander si Dieu est d’accord, contrairement aux humains hurleurs, chaque vie compte pour lui.
Après Border, Ali Abbasi d’origine iranienne, expatrié en Suède, s’inspire d’un fait divers pour questionner la société iranienne. Le film se divise en deux parties en suivant le parcours de Rahimi la jeune journaliste et de Saeed le serial killer. Plus que la forme, assez classique, proche du film d’investigation, c’est le fond qui nous intéresse. C’est cette plongée dans une société particulière organisée autour des lois divines dans une ville sainte emblématique. La première partie place le décor à travers la première victime, une jeune femme obligée de se prostituer pour survivre. Les proies sont souvent prisonnières de la drogue et d’une condition des plus pauvres. La société se soucie peu de leur sort et ne fait rien pour les aider à sortir des ténèbres.
Le tueur semble porté par les voies divines. Il ne supporte pas cette fange dans la ville sainte. Il est de son rôle de la nettoyer de ses mauvaises âmes. Il ressemble à bien d’autres serials killers, bon père de famille, porté par la parole du Seigneur. Rahimi est une jeune journaliste qui tente de trouver sa place dans un monde où les femmes sont peu considérées. C’est une remarquable interprétation de Zahra Amir Ebrahimi, récompensée à Cannes par le prix d’interprétation féminine. Mehdi Bajestani, acteur de théâtre, compose un personnage complexe, ambivalent, au cœur noir comme la nuit. Les jeunes femmes sont rejetées dans la nuit, sur cette place éclairée de quelques lampadaires. Elles n’appartiennent plus à la société, mais sont pourtant tolérées.
La première partie s’inscrit dans le genre policier, enquête journalistique, pour basculer dans une analyse de la société dans la seconde. Le spectateur connaît assez vite le tueur. Le plus important c’est la confrontation de deux regards, ceux de la journaliste et du meurtrier. L’un est figé dans une société prisonnière de ses dogmes, un monde archaïque appartenant au passé. Rahimi représente la voie de l’avenir et de la justice sans faille. On sent que le poids de la religion fait basculer le procès dans la dernière partie. Le peuple considère l’assassin comme un héros menant une croisade nécessaire. La femme de Saeed trouve du réconfort et de l’aide dans le peuple et les commerçants. Rahimi tente de faire bouger une administration qui est plus du côté du tueur que des victimes. Ali Abbasi, avec courage, nous interroge sur la place des femmes dans la société iranienne. En prenant pour héroïne une femme, il montre combien cette société fondamentaliste, patriarcale s’enfonce de plus en plus dans l’obscurantisme au risque de s’y perdre.
Patrick Van Langhenhoven
Bonus
Entretien exclusif avec la comédienne Zar Amir Ebrahimi
Titre original : Holy Spider
Titre français : Les Nuits de Mashhad
Réalisation : Ali Abbasi
Scénario : Ali Abbasi et Afshin Kamran Bahrami
Musique : Martin Dirkov
Direction artistique : Anas Balawi
Décors : Lina Nordqvist
Costumes : Hanadi Khurma
Photographie : Nadim Carlsen
Montage : Olivia Neergaard-Holm
Production : Sol Bondy et Jacob Jarek
Production déléguée : Ditte Milsted
Coproduction : Fred Burle et Eva Åkergren
Sociétés de production : Profile Pictures et One Two Films ; Arte France Cinéma, Film i Väst, Nordisk Film Production, Why Not Productions, Wild Bunch et ZDF - Zweites Deutsches Fernsehen
Sociétés de distribution : Camera Film (Danemark) ; Alamode Filmdistribution (Allemagne), TriArt Film (Suède) ; Metropolitan Filmexport (France)
Pays de production : Danemark / Allemagne / France / Suède
Langue originale : persan
Format : couleur
Genres : thriller, drame, policier
Durée : 115 minutes
Dates de sortie : 22 mai 2022 (Festival de Cannes) ; 13 juillet 2022
Classification : interdit aux moins de 12 ans
Distribution
Zahra Amir Ebrahimi : Rahimi
Mehdi Bajestani : Saeed
Arash Ashtiani : Sharifi
Forouzan Jamshidnejad : Fatima
Alice Rahimi : Somayeh
Mesbah Taleb : Ali
Sara Fazilat : Zinab
Sina Parvaneh : Rostami
Nima Akbarpour : le juge
Sima Seyed : Gohra
M. Ali Nazarian
Distinction
Récompense
Festival de Cannes 2022 : Prix d'interprétation féminine pour Zahra Amir Ebrahimi
Nominations et sélections
Festival de Cannes 2022 : en compétition pour la Palme d'or
Sélection
Festival de Cannes 2022 : en compétition