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affiche La vie d'Adèle – chapitres 1 & 2

La vie d'Adèle – chapitres 1 & 2

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Un film de Abdellatif Kechiche,
Avec Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux,

Genre : Drame psychologique
Durée : 2h59
France

En Bref

Après des mois de tumulte médiatique avidement relayé sur Internet, de critiques justifiées ou injustifiées sur les conditions de tournage et le comportement du réalisateur, La vie d'Adèle sort sur nos écrans de cinéma permettant enfin au spectateur de se faire sa propre idée du dernier film d'Abdellatif Kechiche. Je ne parlerai pas donc des tensions qui règnent autour de la sortie, ayant eu pour point d'honneur de revenir à l'essentiel : le film.

Depuis son premier passage derrière la caméra avec La faute à Voltaire, sorti en 2000, Abdellatif Kechiche s'est imposé comme un portraitiste moderne. Sa capacité à filmer le réel, à peindre le quotidien de personnages blessés et marginaux font de lui un réalisateur à part dans la sphère du cinéma français. Le cinéma d'Abdellatif Kechiche s'intéresse au détail, dans un souci constant de se défaire des étiquettes collées sur les gens différents par peur ou par méconnaissance. Qu'il s'agisse des sans-papiers (La faute à Voltaire), des jeunes des cités (L'Esquive) ou encore d'ouvriers maghrébins (La graine et le mulet), Kechiche a à cœur de filmer des tranches de vies, des moments qui, lorsqu'on l'on s'y attarde sont mis en images avec une justesse qui nous ferait presque oublier que nous sommes en train de regarder un film de fiction.

Avec La vie d'Adèle, le réalisateur s'est penché sur l'adaptation de la bande dessinée de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude. Le sujet s'inscrit à nouveau dans la réalité. Celle du milieu homosexuel français, marginalisé et souffrant malheureusement encore de préjugés (qui sont à l'image des remarques homophobes que reçoit Adèle au lycée). Le film a eu la chance d'être présenté au moment du passage de la loi en faveur du mariage homosexuel et s'est donc un peu plus ancré dans cette réalité sociale ce qui a sûrement favorisé sa place au palmarès cannois.

Car quoique dise Kechiche, La vie d'Adèle conte une histoire d'amour qui n'est pas anodine dans le paysage cinématographique français. Cette histoire d'amour lesbien entre la jeune Adèle (Adèle Exarchopoulos), issue d'un milieu modeste et l'artiste peintre Emma (Léa Seydoux) est unique et intrigue. Pour preuve, le nombre de personnes présentes le jour de sa sortie en salle, venus découvrir enfin qui est Adèle et partager silencieusement son aventure amoureuse durant 3 heures.


Dès le début du film nous sommes happés par la présence de la jeune Adèle Exarchopoulos, noyés dans son regard triste et plein de questionnements. Kechiche force le trait, multiplie les gros plans et la suit dans son intimité la plus profonde : dans son sommeil, durant ses longues pérégrinations dans les couloirs du lycée et jusqu'à ses moments de découvertes et d'initiation sexuelles avec Emma. Les scènes de sexe filmées, si elles sont un peu longues et témoignent avant tout d'un exercice de style pour le réalisateur, ne sont ni malsaines, ni trop complaisantes. Je tiens à faire cette parenthèse car il est tout de même un peu triste de voir que ces rares scènes « crues » servent d'argument de vente au film qui a beaucoup plus à offrir. Passons.

Cette plongée dans la passion amoureuse que se vouent les deux femmes est belle et éprouvante à la fois. Belle car Adèle semble enfin se trouver, partager de réels moments intimes (après l'échec cuisant de sa première relation sexuelle avec un jeune homme ) et intellectuels. Avec Emma, elle trouve la force de se livrer, d'être elle-même, pour un temps. Mais le malaise revient vite chez la jeune femme qui ne parvient pas à se trouver. Enfermée dans la vie artistique d'Emma, épinglée à ses tableaux comme un trophée, Adèle ne se sent pas à sa place. Du statut de muse elle passe à celui de victime, en témoigne la scène du dîner qu'elle organise pour Emma et ses amis où, réduite à faire à manger et le service elle ne trouve pas la force de partager les délires intellectuels de ses invités. La fracture se fait et l'on comprend dès cet instant, que le couple ne pourra plus s'aimer très longtemps. Adèle, comme un animal en cage se débat pour vivre à l'aide d'instincts primaires. Elle aime, elle désire, elle mange. Emma elle, ne se contente pas de ça, elle évolue dans un milieu intellectuel qui l'éloigne peu à peu d'Adèle à qui elle reproche de ne pas développer un attrait pour l'art.

Pourtant, Kechiche semble se ranger du côté du personnage d'Adèle, fervent défenseur de la vie, il cherche le dédain qu'il fait naître en nous lorsqu'il filme ceux qui énoncent ces grandes paroles, Léa Seydoux y comprit. Les personnages secondaires, qui, comme de bons petits élèves, se lancent souvent dans des discours fleuves peu intéressants servent uniquement à mettre en exergue les différences sociales des deux jeunes femmes. Ainsi, les parents d'Emma préparent des huitres et de la langouste pour le dîner de rencontre. Les parents d'Adèle quant à eux, n'auront qu'à offrir des spaghettis bolognaise à Emma, accompagnés de discours sur les dangers de la vie d'artiste et l'intérêt d'être mariée à un homme avec une situation stable. Les deux femmes sont cantonnées à leur classe sociale et malheureusement, ne parviendront pas à s'en défaire.

Dans La vie d'Adèle, contrairement à l'ensemble de ses autres films, Kechiche expédie ses personnages secondaires pour ne laisser de place qu'au couple. Ce couple est filmé dans son intimité, dans ses premiers ébats mais qui, malheureusement, ne peut durer.

Le tumulte amoureux du couple Adèle-Emma s'épuise et vient l'autre partie du film, plus éreintante. Après avoir filmé les étreintes et les baisers goulument échangés, Kechiche s'attarde sur les pleurs et la morve d'Adèle. Une douleur viscérale face à la rupture qui nous renvoie cruellement au visage nos propres échecs et qui, si elle est nécessaire au propos, dure plus de temps qu'il ne faudrait. A force de trop vouloir extraire le réel des situations, de tirer sur la corde avec ses actrices, Kechiche en oublie son spectateur, qui lassé devient incapable de la moindre empathie. A trop vouloir émouvoir, il obtient l’extrême inverse. Le film finit comme il a débuté, à l’exception qu'Adèle, fatiguée par l'amour trop grand qu'elle a porté à Emma ne court plus dans la rue pour attraper le bus de la vie, mais marche lentement, perdue.

Le cinéma de d'Abdellatif Kechiche ne fait pas dans la demi-mesure, et que l'on aime ou que l'on déteste l'homme, on ne peut que saluer le souci du détail dont il fait preuve et la sincérité avec laquelle il raconte des histoires.

Le film est éprouvant mais a le mérite d'être intransigeant sur sa qualité et voit naître, une nouvelle fois sous l'oeil du réalisateur, une belle actrice, Adèle Exarchopoulos.
Dans l'attente des prochains chapitres...


Sarah Lehu

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