Cine-Region.fr
affiche Jimmy P

Jimmy P

___

Un film de Arnaud Desplechin ,
Avec Benicio Del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee,

Genre : Drame psychologique
Durée : 1h56
France

En Bref

L’heure est au changement pour Arnaud Desplechin : pour son huitième film, au revoir Roubaix et ses briques rouges, bonjour les Etats-Unis et ses grandes plaines. Il signe son second film dans la langue de Shakespeare après Esther Kahn. Ça n’est pas un goût de luxe ou la volonté de conquérir Hollywood qui le poussent à l’exil, mais une admiration pour Georges Devereux, psychanalyste peu célèbre qui vécut Outre-Atlantique, et l’inspiration de son livre écrit en anglais, Psychothérapie d’un Indien des plaines aux édition Fayard.

Le spectateur plonge dans une histoire vraie, au lendemain de la seconde Guerre mondiale. Un indien Blackfeet, Jimmy Picard, est envoyé en France et après une fracture du crâne pourtant soignée, souffre de mystérieux maux de tête. Là se révèle l’importance de ce Devereux, psychanalyste d’origine française, exilé, comme Desplechin pour ce film, aux Etats-Unis. Alors que les médecins de l’hôpital de Topika le considèrent comme « invalide mais en parfaite santé », c’est ce dernier qui lui accorde une entrevue par jour pour l’aider à se soigner.

On retrouve deux acteurs excellents dans des rôles qui leur sont taillés sur pièce, si différents en apparence et pourtant si proches. Ils tiennent à eux deux le récit. Son alter ego, Mathieu Amalric, est un fidèle du cinéma de Desplechin. On le retrouve dès le premier long-métrage du réalisateur dans un petit rôle. Il interprète ici celui de Georges Devereux, toujours aussi juste et décalé avec cet accent français exagéré. Face à lui se dresse une montagne, l’Indien interprété par un Benicio del Toro rongé de l’intérieur par ses maux. Impressionnant par son charisme et son côté impénétrable, il exprime pourtant cette souffrance de façon magistrale. Il fut d’ailleurs à juste titre considéré comme l’un des grands favoris pour la remise du prix d’interprétation masculine lors du dernier festival de Cannes, où le film était en compétition officielle. Ces séances personnelles entre ce médecin, qui n’en est pas un, spécialiste des Indiens et son unique client sont le leitmotiv du sujet.


Psychothérapie d’un Indien des plaines est d’une richesse certaine, jusqu’à parfois sembler un peu inaccessible par la réflexion qu’il nous force à accomplir. En effet, il regorge de pistes avec ses questions psychanalytiques. Les différents problèmes de Jimmy sont en partie, selon les conclusions qui en sont tirées, liés aux femmes et notamment à sa fille qu’il a abandonnée. Le psychanalyste va dès lors déceler tout cela s’appuyant sur le complexe d’Œdipe mais aussi la conception freudienne... Mais ce film n’est pas une simple séance de psychanalyse, bien au contraire. Cela est vite balayé pour montrer comment ces deux personnes ne semblent pas si différentes, même si les Indiens ne sont pas forcément appréciés par les Blancs, comme le fait remarquer Jimmy. En effet, derrière ses airs de médecin fou extravagant et sûr de lui, Georges Devereux est lui aussi un homme au cœur blessé. Ces deux hommes vont alors, à travers ces discussions et ces séances, se reconstruire ensemble et créer quelque chose entre eux. Ce sont ces moments qui sont les plus réussis, la complicité entre deux personnes qui parlent une langue qui ne leur est pas maternelle, se sentent étrangers dans ce pays. Devereux n’est même pas un médecin reconnu dans son pays. L’Amérique n’est également pas véritablement sa patrie. C’est aussi la quête d’une identité, l’amitié entre un Indien catholique et un Blanc juif.

Ce sentiment est évoqué par les grandes plaines que l’on retrouve à plusieurs reprises, comme la dimension de leur mal-être, comme l’étendue du monde qui se dresse face à eux. Qui sont-ils vraiment ? Ils souffrent tous les deux d’un manque certain de reconnaissance. Ces larges étendues rappellent les westerns qu’apprécie Desplechin. On y retrouve d’ailleurs le sentiment de solidarité qui domine généralement dans ce genre. C’est le côté « américain » de Psychothérapie d’un Indien des plaines. Jamais pourtant il ne se veut prétentieux. Il reste intimiste, centré sur cette relation.

Et au milieu de celle-ci, purement masculine, entre deux hommes détruits qui réussissent ensemble à se relever, arrive Madeleine (Gina McKee). Maîtresse impossible de Georges car mariée et habitant en France, elle apporte une touche de sensibilité et de féminité bienvenue et audacieuse. Son intervention permet d’éclairer peu à peu le personnage du psychanalyste qui fait parler Jimmy sans véritablement se livrer lui-même. Derrière ces moments de vieilles complicités qui répondent à celle naissante entre les deux hommes, se cache l’impossibilité de cet amour. Madeleine est finalement obligée de partir et Desplechin filme cela avec brio, dans un moment qui lui est propre. A travers l’écriture d’une lettre, elle livre les raisons de son départ et lui demande, sachant cela impossible, de venir la voir à Paris. Assise sur une chaise, elle libère en un souffle sa pensée alors que la caméra effectue un zoom sur son visage. Procédé très touchant, procédé que l’on retrouvait d’ailleurs déjà dans le superbe Comment je me suis disputé... (Ma vie sexuelle), où Emmanuelle Devos lisait une lettre d’amour bouleversante. Plus récemment aussi, dans Un Conte de Noël où cette fois-ci c’est Mathieu Amalric qui lisait une lettre.

Desplechin, au-delà du simple personnage de Devereux, a toujours eu un attrait pour le domaine psychanalytique que l’on retrouvait déjà, mais pas aussi explicitement. Personnage littéraire, ses premiers films étaient plus tournés vers la philosophie et la littérature, comme Comment je me suis disputé... (Ma vie sexuelle) plus dense peut-être en terme de dialogues également. Mais ici tout semble épuré autour de cette relation, la mise en scène surtout. On retrouvait d’ailleurs déjà dans Rois et Reines, un personnage féminin psychanalyste interprété par Elsa Wolliaston du nom de Devereux. Dans ce film, Mathieu Amalric était psychanalysé, les rôles s’inversent, comme pour la lettre.

Si les plaines apportent de la profondeur au film et de belles images, les rêves sont relativement bien illustrés mais tombent parfois justement dans la simple illustration et se superposent à ce que l’on entend déjà de la voix de Jimmy. C’est au final une reconstruction, qui semble durable dans le temps pour ces personnages. Un lien important se crée entre eux deux, un lien que Desplechin renouvelle avec ses spectateurs à travers ses films, qui sont comme ses thérapies. Il n’est pas près de disparaître.

Clément SIMON

Support vidéo :
Langues Audio :
Sous-titres :
Edition :