Au cœur des immeubles sans vie d’une banlieue, à l’orée d’une ville frontière, Axelle, Dominique et Conso survivent. Axelle s’occupe de sa fille depuis qu’elle a enfin quitté son mari violent. Il refait surface de temps en temps, entre menace et pardon. Dominique ressemble à toutes ces mères au foyer anonymes, croisées dans la cohue du monde. Conso rêve d’un avenir meilleur, peut-être d’un semblant de prince charmant. Elles naviguent dans cette existence ordinaire des gens simples qui ne dépasseront jamais le palier de leur rêve. Elles possèdent un secret, au-delà des barres d’immeubles, de l’autre côté de la frontière. Elles s’habillent d’une autre vie. Elles deviennent Athéna, Héra et Circé, Putains de Babylone, Déesses dionysiaques, échouées dans la tiédeur d’un monde moderne. Un petit pavillon transformé en clandé, quelques passes pour vivre et croire en l’impossible étoile ! Cette vie de peu qui ne vaut rien est pourtant beaucoup pour ces trois filles sans autre horizon. Cette parcelle d’espérance vole en éclat sous le poids des circonstances de la vie, cette garce tout simplement qui sourit au vainqueur. Il n’est pas certain que la tempête n’emporte pas quelques morceaux au tombeau des sinécures.
« Allez les filles ! On remonte ses seins, on remonte ses fesses ! »
Le cinéma s’intéresse peu aux gens ordinaires, ces passants fantômes, silhouettes perdues au cœur de la foule. Ils habitent les tours, ghettos des périphéries, des villes de solitude, espérant qu’une vie meilleure frappe à leur porte. C’est bien son milieu qui donne un autre chant au film, l’ancre dans la douleur comme seul territoire d’éveil. On hurle, s’engueule, s’insulte, se drogue, les garçons possèdent le regard du client salace. On n’imagine pas que le bonheur puisse un jour s’arrêter, juste pour leur offrir autre chose que des chrysanthèmes. Nous allons suivre trois parcelles d’existence dans cet océan aux couleurs du temps qui passe. Ce sont trois moments, entre tempête, rêve, espérances, trahisons, lassitude, espérances. Un mari violent et sa sarabande de menaces, une famille qui ne vous voit plus, un amoureux qui ne vous conduira jamais à l’église. Elles espèrent encore que le monde tournera bien plus rond, mais il est peut-être déjà trop tard.
Elles trimbalent leur spleen, comme Baudelaire en un autre temps. Elles deviennent des femmes de rêve, se transforment en putes. Bien plus que cela, elles sont déesses de Babylone dans l’ombre de Sodome et Gomorrhe, princesses des harems secrets, filles d’une passe à deux sous pour des types en goguette. Elles ne sont plus anonymes, fantômes d’une vie de rancœur. Le client s’accroche, réclame son dû, son moment de bonheur pour deux francs six sous. Tout cela n’est peut-être que chimère, que bout de misère, qu’importe ! On vit autre chose derrière les portes closes. C’est sur ce rien, ces choses simples, que Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich bâtissent leur récit sans fard. Ils plongent dans la nasse de la fiction réalité aux allures de documentaire, portée par trois actrices sublimes.
Ils s’inspirent du travail d’Anne Paulicevich sur la prostitution en Belgique. C’est un sujet et un milieu peu traités au cinéma. Dans son ouverture, ces femmes trainant un corps dans la boue nous font croire à un polar noir. Très vite, le film quitte ses vêtements imaginaires pour rejoindre la vie sans fard. Chacune de ces trois existences mériterait un long métrage. La fin prend un air de fiction, s’éloigne un temps de la réalité trop crue, trop noire pour rejoindre la scène du début. Mais vous n’aurez pas rêvé, cette vie existe bien, là-bas, ailleurs.
Patrick Van Langhenhoven
Titre original : Filles de joie
Réalisation : Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich
Scénario : Anne Paulicevich
Décors : Eve Martin
Costumes : Ann Lauwerys
Photographie : Juliette Van Dormael
Montage : Damien Keyeux et Chantal Hymans
Musique : Vincent Cahay
Producteur :
Coproducteur : Olivier Bronckart, Yaël Fogiel, Laetitia Gonzalez et Nathalie Vallet
Producteur associé : Philippe Logie, Arlette Zylberberg, Tanguy Dekeyser, Anne Paulicevich et Frédéric Fonteyne
Producteur délégué : Jacques-Henri Bronckart
Producteur exécutif : Gwennaëlle Libert
Société de production : Versus Production, Les Films du Poisson et Prime Time
Sociétés de distribution : KMBO
Pays d'origine : Belgique et France
Langue originale : français
Format : couleur
Genre : drame
Durée : 91 minutes
Dates de sortie : 22 juin 2020
Distribution
Sara Forestier : Axelle
Noémie Lvovsky : Dominique
Annabelle Lengronne : Conso
Nicolas Cazalé : Yann, l'ex d'Axelle
Jonas Bloquet : Jean-Fi
Sergi López : Boris
Salomé Dewaels : Zoé
Jérémie Petrus : l'homme à l'hôtel de luxe