Georgina et Léo auront bientôt leur premier enfant. Ce couple de Quechuas sans le sou trouve une clinique offrant des soins gratuits. L’accouchement se passe sans problème, bientôt leur fille égayera la maison de ses cris joyeux. Quand Georgina demande à voir la petite, on lui oppose des arguments divers, refusant de lui montrer sa belle. On la jette dehors ! Elle a beau revenir à la charge, hurler, réclamer son bébé, rien n’y fait. La police prend sa plainte sans grande conviction, pourquoi s’inquiéter pour une Indienne ? Georgina est bien décidée à ne pas lâcher d’un pouce. Elle trouve en Pedro, un journaliste engagé, une oreille attentive. Il remonte la piste et dénonce un trafic d’enfants. Ce dernier est l’œuvre de gens sans scrupules pour des raisons bassement financières. Le combat de Pedro et Georgina dans un Pérou en pleine guerre civile sous couvre-feu est-il voué à l’échec ?
Le premier long métrage de Mélina León fait preuve d’une esthétique remarquable. La réalisatrice s’appuie sur un noir et blanc et un format 4/3 rudes. Ils renforcent l’impression d’enfermement, d’un pays aride entre lumière et ténèbres. Ils renvoient aux actualités de l’époque. C’est une histoire vraie, basée sur l’enquête de son père journaliste pour La República. Il a révélé le trafic d’enfants vers l’étranger pour alimenter certains groupuscules et gens peu scrupuleux. Le personnage de Pedro s’inspire du père de la réalisatrice. Ce trafic nous rappelle les Mères de la Place de Mai en Argentine dont les enfants disparurent pendant la « guerre sale ». C’est aussi au Chili sous la dictature de Pinochet, en Espagne avec les enfants volés du franquisme. Pedro se sent peu à peu isolé dans son enquête avec une volonté tenace de lever le voile sur l’absurde. Un sénateur, comble de l’horreur, lui dit : « Mais c’est mieux pour ces enfants que la misère ».
Qu’est-ce qui est mieux que l’amour d’une mère ? À l’inverse, le personnage de Georgina, admirablement joué par Pamela Mendoza, se retrouve prisonnier d’un labyrinthe qui se resserre sur sa douleur. Les couloirs ingrats des institutions, le silence des serviteurs de l’Etat, le racisme envers son peuple trouvent dans le noir et blanc le territoire parfait pour exprimer cet univers kafkaïen. L’actrice, comme de Niro, prendra plusieurs kilos pour le rôle. Derrière le cœur du film, c’est un regard sans concession sur un pays qui souffre encore de cette période trouble. C’est la condition des Indiens Quechuas, sans cesse ostracisés par un gouvernement de conquistadors. Les Quechuas préservent leurs traditions exprimées par deux cérémonies que rehaussent le noir et blanc et les costumes traditionnels.
C’est une communauté solidaire qui n’abandonne pas les siens. La réalisatrice montre leurs conditions de vie au bord du gouffre face à la bourgeoisie péruvienne. Elle en profite pour traiter de l’homophobie avec le personnage de Pedro, le Sentier lumineux et les attentats, avec Léo basculant dans la révolte. En quelques séquences, c’est tout un contexte dont le pays souffre encore qu’elle soulève en toile de fond. La dernière image nous prend à l’âme. Georgina ne sait pas si elle retrouvera sa fille. Elle entame une berceuse qui s’envole, sans doute pour la rejoindre ailleurs, à l’étranger. Canción sin nombre est un premier film aux nombreuses qualités, révélant une réalisatrice à suivre et un cinéma en perpétuelle révolution.
Patrick Van Langhenhoven
Titre : Canción sin nombre
Réalisation : Melina León
Scénario : Melina León et Michael J.White
Image : Inti Briones
Montage : Melina León, Manuel Bauer, Antolin Prieto
Musique : Pauchi Sasaki
Producteurs : Inti Briones, Melina León, Michael J. White
Production : La Vida Misma Film
Co-production : La Mula Producciones, MGC, Bord Cadre Films Luxbox
Ventes internationales : Luxbox
Distribution France : Sophie Dulac
Distribution :
Georgina Condori : Pamela Mendoza
Pedro Campos : Tommy Párraga
Leo Quipse : Lucio Rojas
Isa : Maykol Hernández
Eva : Lidia Quispe
Pamela Mendoza Tommy
Réalisation Scénario Image Montage Musique Producteurs Production Co-production Ventes internationales Distribution France
Melina León
Melina León et Michael J.White
Inti Briones
Melina León, Manuel Bauer, Antolin Prieto Pauchi Sasaki
Inti Briones, Melina León, Michael J. White
La Vida Misma Film
La Mula Producciones, MGC, Bord Cadre Films Luxbox
Sophie Dulac Distribution